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Carlo Pisacane, il «romito» di Albaro (Zenone di Elea - Giugno 2024)

PISACANE E LA SPEDIZIONE DI SAPRI (1857) - ELENCO DEI TESTI PUBBLICATI SUL NOSTRO SITO

ANNUAIRE DES DEUX MONDES

HISTOIRE GÉNÉRALE DES DIVERS ÉTATS

VIII

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1857-1858

PARIS

BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES

RUE SAINT- BENOIT, 20

30 OCTOBRE 1858

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ÉTATS EUROPÉENS – LE PIÈMONT

I — LA SARDAIGNE

Monarchie constitutionnelle. — Victor-Emanuel II, roi de Sardaigne (1)

HISTOIRE POLITIQUE

Fin de la session de 1857. — Interpellations sur la mission de M. Boncompagni à Bologne. — Discussion du projet de loi sar le recrutement militaire et la réserve. — Discussion sur le percement du Mont-Cenis. — Tentative d’insurrection à Gènes (29 juin 1857). — Difficultés avec Naples relativement au Cagliari et aux émigrés napolitains. — Difficultés intérieures avec le clergé. — Élections municipales. — Voyage du roi en Savoie. — Inondations. — Dissolution de la chambre des députés (25 octobre). — Attitude des partis. — Élections générales (15 et 18 novembre). — Ouverture des chambres (44 décembre). — Discours du trône. — Vérification des pouvoirs. — Enquête sur l’intervention du clergé dans les élections. — Exclusion des chanoines. — Modification ministérielle. — Constitution du bureau. — Élections complémentaires. — Procès de Gènes. — Nouvelles négociations relatives au Cagliari. — Discussion du projet de loi sur l’assassinat politique et les délits de presse (mars, avril 1858).

Le vote du projet de loi relatif au transfert de la marine nationale dans le golfe de la Spezzia paraissait devoir marquer la fin des grands travaux du parlement piémontais durant la session de 1857. Une fois l’approbation du sénat obtenue par A2 voix contre 22, il semblait que la chambre des députés n’eût plus qu’à discuter quelques projets de loi d’un intérêt secondaire ou spécial, tels que celui du chemin de fer qui doit relier Nice à la Toscane, le Var à la Magra, puis à voter sans discussion sérieuse les budgets des divers ministères. Toutefois, au moment d’achever sa quatrième session, qui, suivant les usages constitutionnels, devait être la dernière de cette législature, la chambre voulut employer utilement jusqu’à sa dernière heure, et plusieurs débats importans eurent encore lieu dans son sein avant que ses membres songeassent à se séparer.

La première de ces discussions eut pour sujet la mission confiée par le gouvernement à M. Boncompagni, son ministre plénipotentiaire à Florence. Conformément à l’usage Constant, dans tout état monarchique, de faire saluer par un ambassadeur spécial les princes régnans que leurs pérégrinations conduisent près de ses frontières, le cabinet sarde avait donné l’ordre à M. Boncompagni de se rendre auprès du pape à Bologne, où la cour pontificale venait d’arriver (juin 1857). Les relations peu amicales des deux gouvernemens donnèrent à M. Brofferio une occasion toute naturelle d'interpeller le ministère. «Cette démarche, dit-il, est une humiliation pour notre pays. Chef de l’église, Pie IX nous a excommuniés et traités comme des hérétiques; prince temporel, il est l’ami de nos ennemis.» A ces paroles qui trouvaient de l’écho, grâce au ressentiment populaire, M. de Cavour répondit que les deux titres de Pie IX ne pouvaient être confondus, que tous les démêlés du monde ne devaient pas empêcher une nation catholique de rendre hommage au chef de la chrétienté, qu’au surplus cet acte de pure courtoisie n’engageait pas le gouvernement par rapport aux questions pendantes, et qu’il suffisait, pour apprécier la nature de la mission confiée à M. Boncompagni, de remarquer qu’aussitôt la politesse faite, il était reparti pour Florence. Cette déclaration importante devait suffire, M. Brofferio n’eut plus qu’à retirer son ordre du jour motivé. Tout le monde passa sous silence, — on l’ignorait peut-être alors, — le froid accueil fait par le pape à l’ambassadeur sarde, et l’affectation de la noblesse bolonaise à le traiter avec

des égards tout particuliers, qui fissent contraste avec l’attitude du souverain et du monde officiel.

Le jour mème où eurent lieu ces interpellations (16 juin) commonca la discussion d’un projet de loi sur le recrutement militaire et la réserve: il s’agissait de modifier l’un afin de doubler l’autre. Depuis longtemps on proclamait l’armée insuffisante pour les besoins de la défense nationale, et l’opposition pressait le gouvernement d’en augmenter l’effectif. Ne pouvant ni transformer la garde nationale, ni organiser une armée de réserve, le ministre de la guerre s’est borné à proposer de placer dans la réserve quiconque n’est pas appelé au service actif, de manière que tout citoyen valide soit soldat au premier ou au second degré; seulement, pour diminuer l’impopularité d’une mesure si contraire aux habitudes du pays, le ministre insérait dans son projet cette garantie que, pour appeler à l’activité une partie du contingent de réserve, il ne suffirait plus d’un décret royal, comme par le passé, mais qu’il faudrait une loi.

A cette mesure hardie les objections ne manquaient pas. La session était bien avancée pour qu’on s’occupât d’une réforme qui demanderait de sérieuses études; le pays se montrait plein d’alarmes; enfui la loi donnerait des soldats, non des cadres. Cette dernière objection était évidemment la plus grave: pour la lever, le ministère crut devoir prendre l’engagement d’apporter beaucoup de soins à l’institution des collèges militaires, et notamment aux développemens que réclame le collège de Racconigi. Rien n’était plus nécessaire assurément, si l’on excepte toutefois l’institution d’un certain nombre d'écoles régimentaires qui pourraient former un bon corps de sous-officiers, et dont il a été à peine question dans les débats. D’autre part, pour rendre la loi moins impopulaire, le ministre de la guerre consentit à laisser aux hommes de la réserve le droit de se marier, ce qui ne saurait être un inconvénient grave, puisqu’ils ne doivent être appelés sous les drapeaux que dans les cas extrêmes, et qu’alors il n’y a pas de raison pour moins compter sur leur patriotisme que sur celui des pères de famille qui ont défendu le Piémont contre l’Autriche en 1848 et 1849. Ainsi expliquée, au nom du ministère, par MM. de Cavour et de La Marmora, la loi fut défendue par les orateurs de la gauche, MM. Robecchi, Tecchio, Correnti, attaquée par M. de Revel et ses amis, et votée enfin par 74 voix contre 32.

La dernière discussion importante de la session eut pour objet le percement du Mont-Cenis. Personne ne contestait plus ni l’opportunité, ni la possibilité de cette grande opération; mais plus d’un membre regrettait les avantages qu’on avait faits à la compagnie du chemin de fer Victor-Emmanuel, pour obtenir qu’elle se chargeât de l’entreprise. M. de Cavour montra que l’état devait prendre sa part des dépenses, d’abord pour ne pas se mettre à la merci de la compagnie, ensuite par crainte qu’elle ne se retirât, faute de trouver un bénéfice suffisant. Il faut hardiment, ajoutait le ministre» accepter les hasards de l’opération, car nos principales affaires commerciales sont avec la France, soit les deux tiers pour les importations et les trois quarts pour les exportations: sur 76,000 quintaux de riz que le Piémont exporte sur le marché de Lyon, la sixième partie seulement prend la voie de terre; le reste fait un immense détour, et passe par Gènes et Marseille. Rien ne saurait donc être plus nécessaire que de faciliter les relations entre les deux pays. M. de Cavour a prouvé enfin que par les économies réalisables, dès qu’on pourrait abréger sensiblement les longueurs de la route pour les différens services de transports, de courriers, de voyageurs, l’état recouvrerait, à peu de chose près, l’intérêt des sommes avancées à la compagnie.

Le grand adversaire du projet de loi fut le député Moia, qui aurait voulu que le gouvernement flt seul, et à ses frais, le percement. Le gouvernement reculait devant cette formidable entreprise; diverses compagnie de chemins de fer, celle de Novare, celle de Suse, avaient également déclaré qu’elles ne voudraient pas s’en charger. Si la compagnie Victor-Emmanuel montrait plus de hardiesse, c’est quelle avait déjà dépensé 250,000 livres par kilomètre pour un chemin qui parcourait les stériles vallées de la Savoie, et qu’elle avait besoin de se faire un débouché pour se couvrir de ses avances et tirer quelque profit des travaux déjà terminés. La majorité donna gain de cause au ministère, dans le sénat comme à la chambre des députés.

Il ne restait plus que les budgets à voter. Une fois cette tâche accomplie, les mandataires du pays se séparèrent (14 juillet) avec la conscience d’avoir honorablement accompli leur mission. Réunis depuis le 19 décembre 1853, ils avaient fourni quatre sessions laborieuses, chacune en moyenne de 130 séances, occupées à l’examen de projets de loi dont le nombre variait de 80 à 150. Outre les lois dont nous venons de parler, cette législature en avait voté une foule d’autres dont quelques-unes de la plus haute importance, et s’était associée de cœur et d’âme à cette politique libérale qui a valu au Piémont les lauriers de Crimée et les succès pacifiques obtenus au congrès de Paris.

La session n’était pas encore finie qu’éclatait ce complot de Gènes qui se reliait aux diverses tentatives du parti mazzinien dans plusieurs villes importantes, à Paris, à Madrid, à Livourne et à Sapri. Depuis le milieu du mois de mai, le gouvernement, averti par les cabinets de Paris et de Londres, savait qu’il se préparait quelque ténébreuse machination. On avait mème désigné le 9 juin comme étant le jour fixé par les conjurés. Était-ce une erreur, y eut-il contre-ordre? C’est ce qu’on ne saurait dire exactement; mais les autorités se tenaient sur leurs gardes, et, une fois le 9 juin passé, leur zèle ne se ralentit pas. Bien leur en prit, car le 29 éclata le complot. On en a fait, comme il arrive toujours, mille récits, exagérés par la peur ou par le désir de rehausser le mérite et les difficultés de la victoire. Mous nous en tiendrons aux détails positifs donnés par les ministres Rattazzi et La Marmora, répondant aux interpellations du sénateur Pallavicini-Mossi. Des bourgeois sans armes se dirigèrent à Gènes vers un corps de garde avancé qu’on appelle fort Diamante, par cette mème exagération qui fait donner, en Italie, le nom de palais à de modestes maisons. Ces bourgeois entamèrent familièrement conversation avec le sergent et les douze soldats qui occupaient ce poste, ils burent mème avec eux. Pendant ce temps, quelques-uns des nouveau-venus sortaient et revenaient bientôt, suivis d’une trentaine d’insurgés qu’ils introduisaient dans la place. Les soldats, surpris, entourés, ne purent saisir leurs armes et se trouvèrent, presque sans lutte possible, à la merci des conjurés. Les autorités, bientôt averties, envoyèrent des soldats, firent main basse sur les séditieux, sans que l’insurrection eût un instant menacé de s’étendre dans la ville. Le sergent était si peu tué, quoi qu’on ait dit, que le ministre déclara qu’il allait être déféré à la justice militaire; Gènes n’était point minée; on ne saisit que 500 fusils, et non 3,000, que l’exagération publique accusait; pas un instant enfin la frayeur ne fut assez grande pour que l’on fermât les boutiques.

Évidemment l’exécution du complot était ridicule. Quoi de plus déraisonnable que de commencer l’attaque non sur plusieurs points à la fois, mais contre un seul corps de garde, si éloigné de la ville que le succès en cet endroit ne pouvait être d’aucun effet pour les progrès de l’insurrection! S’ensuit-il cependant qu’il n’y eût pas de complot? Non sans doute; seulement les projets des conjurés étaient beaucoup plus modestes qu’on ne l’a cru tout d’abord. Il ne s’agissait point de renverser le gouvernement du roi Victor-Emmanuel et d’y substituer la république, mais uniquement de se rendre maîtres du port de Gènes, de s’emparer des navires et des munitions nécessaires pour diriger une expédition sérieuse contre Naples à l’appui de celle qu’à ce moment mème exécutait si audacieusement le colonel Pisacane. C’est du moins ce que déclarait M. Mazzini dans l’Italia e popolo (numéro du 28 juillet), et rien n’est plus vraisemblable. Si l’on eût voulu proclamer la république, c’est à Turin, au siège du gouvernement, qu’il aurait fallu frapper, l’antagonisme connu de Gènes avec la capitale étant propre à rendre cette dernière plus monarchique encore qu’elle ne l’est, si sa rivale se déclarait pour le gouvernement républicain. M. Mazzini était là, après avoir parcouru, dit-on, la France, l’Allemagne, l’Italie autrichienne, la Suisse,et déjoué partout la surveillance de la police. Il réussit encore à quitter Gènes quand la partie fut perdue, en n’y laissant que le souvenir d’une entreprise ridiculement exécutée.

Presque vers le mème temps, la capture par deux frégates napolitaines du navire sarde le Cagliari, qui portait Pisacane et ses complices, ouvrait une période de difficultés entre les deux gouvernemens de Naples et du Piémont. Sur l’affirmation de M. Carafa, ministre des affaires étrangères du roi Ferdinand, que le Cagliari avait été saisi dans le golfe de Policastro, c’est-à-dire dans les eaux de Naples, M. de Cavour, s’abstenant de toute contradiction, s’était borné à réclamer la remise du navire et de la cargaison à ses propriétaires, et la mise en liberté de l’équipage et des passagers innocens. N’obtenant point satisfaction à cet égard et ne se croyant point encore en mesure d’insister diplomatiquement, il se borna à faire demander qu’on rendit aux prisonniers sardes leurs vêtements et les objets de première nécessité confisqués à bord. A la réclamation, peut-être un peu vivement exprimée, de M. Gropello, chargé d’alaires sardes à Naples, M. Carafa répondit, en date du 5 août, par une note dont voici le passage important:

«Le soussigné, en réponse à une telle note, peut affirmer avec franchise et signifier à M. le chargé d'affaires que jamais ]e gouvernement de sa majesté sicilienne n’a manqué aux justes sentimens d’humanité et de généreuse équité envers tous ceux que diverses circonstances ont conduits à les éprouver, et il aurait lieu de se montrer grandement surpris non-seulement d'une ombre de doute à cet égard, mais encore d’entendre invoquer ces sentimens pour atténuer les conséquences nécessaires de déplorables événemens qui auraient certainement pu être évités en tenant compte des préparatifs artificieux et connus qui les ont précédés, comme il convient à tout gouvernement qui veut se maintenir à la hauteur de sa propre dignité et de sa position.»

Ainsi le gouvernement napolitain accusato en termes exprès le cabinet sarde d’avoir eu connaissance du complot, et de n’avoir rien fait pour l’étouffer. A ces allégations injurieuses M. de Cavour répondit le là aoùt par la dépêche suivante, adressée à M. Gropello

«J'ai l’honneur de vous accuser réception des deux dépêches du 6 et du 7 courant, auxquelles était annexée une copie de la note par vous adressée au ministre napolitain pour les affaires étrangères, et je m’empresse de vous faire savoir que j’approuve la communication que vous avez faite pour obtenir la restitution des habits et du linge nécessaire aux sujets royaux détenus dans les prisons napolitaines par suite de la capture du Cagliari.

«Cette demande, si juste en elle-mème et si convenable dans la forme, n'aurait pas dû provoquer la réponse du commandeur Carafa dont vous m’avez aussi transmis copie.

«J'ai lu ce document, et les malveillantes insinuations qu’il contient non seulement sont peu conformes au langage diplomatique, mais encore ne peuvent être considérées que comme offensantes pour le gouvernement de sa majesté.

«Je vous charge de restituer au commandeur Carafa la note dont il s'agit, en lui faisant observer qu’en votre qualité de chargé par intérim des affaires de la légation, vous n’aviez pas cru pouvoir assumer sur vous la responsabilité de la renvoyer immédiatement après l’avoir reçue.»

M. Carafa consentit à retirer la note qui lui était ainsi rendue, c’est-à-dire à ne pas insister sur l’accusation qu’il avait portée contre le gouvernement piémontais; mème avant la fin du mois d’août, les passagers sardes qui avaient été pris à bord du Cagliari, et qui ne faisaient point partie de la conjuration, furent renvoyés dans leur pays. En échange, le cabinet napolitain réclama l’expulsion du territoire sarde de vingt-six ou vingt-sept réfugiés des Deux-Siciles. La nouvelle de cette demande s’étant répandue et le chiffre des expulsions réclamées n’étant pas connu, une commission de réfugiés fit une démarche auprès de M. Rattazzi, ministre de l’intérieur, pour savoir ce qu’ils avaient à craindre. M. Rattazzi les rassura en déclarant qu’il ne s’agissait d’expulser que des espions ou des gens qui, après plusieurs années de résidence dans le royaume, n’avaient su se créer aucun moyen d’existence. Cette déclaration parut aux délégués d’autant plus légitime et rassurante, que l’émigration est fortement organisée en Piémont: elle a un président, un bureau, des fonds, elle accorde des subventions aux malheureux, elle leur cherche de l’ouvrage. On vit donc embarquer sans émotion pour l’Amérique méridionale quelques hommes mal famés ou trop disposés à l’agitation; mais les vingt-sept proscrits désignés par le cabinet napolitain n’étant pas compris parmi les expulsés, M. Carafa fit des journaux catholiques, en Piémont et ailleurs, l’écho de son mécontentement. Le gouvernement sarde ayant affirmé qu’il n’avait jamais eu l’intention de céder à de pareilles exigences, un Anglais, en très bons termes avec la police napolitaine, publia une liste des vingt-sept réfugiés dont M. Rattazzi aurait promis l’expulsion. Cette publication, dont les élémens avaient dû être fournis à Gènes par quelque faux frère, tant ils étaient circonstanciés, fit un moment scandale, mais on n’eut pas de peine à prouver qu’elle contenait, à coté des noms de quelques malheureux embarqués par les soins de la police, cent de personnes très honorables qu’il n’avait pu jamais être question d’expulser. Ces hostilités indirectes montraient bien que le différend sardo-napolitain ne pouvait ètre considéré comme terminé par le retrait de la note de M. Carafa, et on le vit en effet un peu plus tard prendre de redoutables proportions.

Pendant quelques mois, à partir de ce moment, les affaires extérieures laissèrent au gouvernement sarde quelque répit. S’il s associa aux vues et aux réclamations de la France dans les discussions relatives aux principautés danubiennes, il ne fit que suivre l’impulsion donnée par sa puissante alliée. Avec l’Espagne, il négociait un traité d’extradition, dont la plus grande difficulté fut l’article relatif à une certaine classe d’offenses contre la religion catholique, que réclamait M. de Castro, chargé d’affaires pour l’Espagne, et que M. de Cavour refusait absolument d’introduire dans le traité. Sa préoccupation constante était toujours en effet, tout en se montrant respectueux pour les cultes, de maintenir la complète indépendance du pouvoir civil.

A cet égard, les difficultés continuaient à l’intérieur pour tout ce qui touche au clergé. Dans plusieurs couvens, qui devaient être évacués conformément à la loi, les religieuses ne cédèrent qu’à la force. Des vols ayant eu lieu dans diverses églises du diocèse d’Ivrée, l’évêque, pour réparer cette perte, autorise ses clercs à vendre les objets sacrés de quelque prix et à les remplacer par du cuivre. Sans s’inquiéter si cette vente ne constituait pas, au point de vue religieux, un véritable sacrilège, le gouvernement regardait ces objets sacrés comme la propriété des communes; en conséquence, il ordonna aux syndics (maires) de s’opposer à ces ventes et d’empocher qu’on mit en interdit les églises dans lesquelles des vols auraient accidentellement eu lieu. Là-dessus, protestations énergiques du clergé, qui déclarait ces ordres contraires aux canons, à la propriété ecclésiastique, et même au statut. En attaquant le ministère sur ce point, le clergé ajoutait qu’il n’y avait rien de bon à attendre d’un gouvernement qui s’était abstenu d’illuminer les édifices publics pour fêter la proclamation de l’Immaculée-Conception. N’était-ce pas oublier un peu vite que la plupart des curés avaient refusé de célébrer dans leurs églises l’anniversaire du statut? De temps à autre, le ministère public était obligé de poursuivre les plus ardens d’entre ces ecclésiastiques. Le curé de Verrès fut condamné à un mois de prison pour avoir refusé d’accepter comme parrain dans un baptême un individu qui avait acheté des biens d’un couvent; un chanoine de Viguezzola, à quinze jours, pour avoir refusé de déposer en justice sans l’autorisation de ses supérieurs. Un peu plus tard, le curé de Sainte-Marguerite de Rapallo fut déféré aux tribunaux pour avoir prié publiquement à l’église pro imperatore nostro Francisco Josepho, et le curé de Sainte-Foy en Tarentaise, pour avoir dit au prône que les deuils répétés qui affligeaient la famille royale étaient un juste châtiment (lu ciel. Cette lutte opiniâtre présageait au gouvernement, pour un avenir peu éloigné, de sérieuses difficultés.

En attendant les élections générales, les élections municipales permettaient d’apprécier l’état de l’opinion. Dans les provinces, et surtout dans les campagnes, les électeurs, abandonnés à eux-mèmes, c’est-à-dire livrés à l’influence sans contre-poids des ennemis du pouvoir, se donnaient des municipalités ultra-catholiques. Quelques grandes villes seules présentaient des résultats plus rassurants. A Turin, sur 17 conseillers, 1'2 ministériels étaient nommés; mais à Gènes, dans la seconde ville du royaume, l’opposition avait le dessus. Par déférence pour le vote des électeurs, le gouvernement offrit la position de syndic (maire) à M. Pallavicini, membre de la majorité du conseil; ce personnage ayant mis pour condition à son acceptation que les boutiques seraient fermées par ordre durant les offices et que l’état-major de la garde nationale serait licencié, le ministre de l'intérieur se vit obligé de replacer à la tète de la municipalité génoise M. Morro, précédent syndic et membre de la minorité.

C’est seulement à Gènes que l’opposition à la politique du gouvernement parut s’étendre jusqu’à la dynastie. Le roi, ayant dû faire un voyage en Savoie pour assister aux premiers travaux de percement du Mont-Cenis, n’eut qu’à se louer de l’accueil d’un pays qui se montrait cependant si hostile à ses ministres. Parti le 30 août, il fut accompagné, durant l’ascension du Mont-Cenis, par une foule de jeunes gens portant des torches, et qui remplissaient l’air de cris de joie. A Modane, il assista, en compagnie du prince Napoléon, aux premiers travaux de percement du grand tunnel dont la direction technique est confiée aux ingénieurs Grandis, Grattoni, Sommeiller, inventeurs de ce beau compresseur hydro-pneumatique qui rend exécutable cette gigantesque entreprise. Le 1° septembre, les deux princes se rendirent à Culoz, sur les frontières de la Savoie et de la France, pour poser la première pierre du pont du chemin de fer qui maintenant unit les deux pays; puis le roi revint par Chambéry et Aix-les-Bains, où il avait promis de poser aussi la première pierre du nouvel établissement thermal.

L(p)s mois d’été et d’automne furent pour le Piémont un temps de repos qui précéda l’inévitable agitation dont le pays allait bientôt offrir l’aspect au moment des élections générales. L’inauguration du chemin de fer de Novare au pont de Buffalora sur le Tessili, petite ligne de 15 kilomètres qui met la frontière lombarde à quatre heures de Turin; la nomination du réfugié Mamiani comme professeur de philosophie de l’histoire à l’université de cette capitale; la mort de M. Siccardi, dont le nom est resté attaché à la réforme ecclésiastique des états sardes, et que son fils fut obligé de défendre

contre la calomnie d’une rétractation in extremis, tels seraient les principaux et presque les seuls événemens de cette période, si nous n’avions à mentionner les désastres causés dès la fin de septembre par un hiver prématuré. Des pluies incessantes formèrent dans ces pays de montagnes des torrens qui emportèrent les maisons et firent un grand nombre de victimes. Après quelques jours d’un froid vif qui avait changé l’eau enneige, les pluies recommencèrent; la Stura, la Bormida, le Tanaro, d’autres rivières encore, le Pò mème, débordèrent; les ponts furent rompus, les routes ruinées, les chemins de fer coupés, de grandes étendues de territoire inondées. Depuis longtemps on n’avait vu pareil désastre.

Il fallait l’approche des élections pour détourner le pays de ces préoccupations douloureuses. Le 25 octobre, le roi prononçait la dissolution d’une chambre que les usages constitutionnels interdisaient de conserver jusqu’à l’expiration des cinq années de son existence légale. D’ailleurs le cabinet était désireux de faire appel aux électeurs pour la première fois depuis le statut par le jeu régulier des institutions libres, et non plus sous le coup de circonstances extraordinaires; il croyait le moment bien choisi après les triomphes militaires de Crimée et les succès diplomatiques du congrès de Paris. C’était trop oublier peut-être bien des susceptibilités, bien des mécontentements de clocher, éveillés depuis quatre ans par une foule de lois que tout un parti s’étudiait à rendre impopulaires. L'augmentation inévitable, mais mal interprétée, des impôts, la loi sur la liberté de l’intérêt, ou, comme on se plaisait à le dire, sur la liberté de l’usure, la loi sur la réserve, les pertes d’hommes et d’argent causées par cette guerre de Crimée, dont les paysans ne voyaient point les avantages politiques et moraux, la lutte sourde du gouvernement contre le clergé national et le Saint-Siège, c’étaient-là des armes terribles aux mains de l’opposition. Il eût fallu remarquer en outre que cette liberté presque absolue de la presse, qui permet à tout Piémontais de fonder un journal, sans frais de timbre ni de cautionnement, avec des déboursés modiques pour l’impression, et sous la seule condition de faire sa déclaration à l’autorité compétente; que la liberté de parler et de se réunir, à peine moins grande que cette immense liberté d’écrire; que le dévouement très douteux des fonctionnaires, presque tous élevés dans les traditions de l’absolutisme, dont ils regrettent les habitudes commodes, étaient autant d’obstacles qui faisaient une loi au ministère de mieux préparer ses amis à la grande bataille du scrutin. Les intendans (préfets) et les syndics (maires) ne furent point destitués; le ministre de l’intérieur se borna à leur recommander les candidats de son choix, qu’intendans et syndics ont en plus d’une localité ouvertement combattus.

Telle fut la neutralité affichée par le cabinet, qu’il fut décidé que tous les électeurs, sans distinction d’opinion, seraient transportés gratuitement pour l’aller et le retour, le 15 novembre, jour fixé pour les élections, sur les chemins de fer et les pyroscaphes de l’état. Enfin les journaux ministériels, se conformant à cette pensée imprudente autant que libérale, s’abstinrent de mettre des noms en avant, et se bornèrent à reproduire ceux que les comités locaux avaient désignés, sans presque combattre les candidats des deux oppositions.

Il est vrai qu’il eut été difficile de faire autrement. A la réserve de M. Valerio et de son journal le Diritto, l’opposition de gauche, comprenant que le cabinet était plutôt en avant qu’en arrière de la nation, s’abstenait sagement de l’attaquer, et semblait instinctivement comprendre la nécessité de rallier toutes les forces du parti libéral. Quant à l’opposition de droite, elle ne faisait point connaître ses candidats. Depuis 18/j8, ce parti pratiquait sur une large échelle la politique de l’abstention. Son centre d’action était à la cour, où il essayait de détacher le roi du statut qu’il a juré. Dérouté par l’inébranlable loyauté de ce prince, il avait enfin compris que sa dernière chance était de se tourner vers les électeurs, surtout vers les campagnards, placés sous la main des hobereaux et des curés. L’ignorance qui règne en Savoie, dans File de Sardaigne, où 80 personnes sur 100 ne savent ni lire ni écrire, les mécontentements municipaux de Gènes et de cette province maritime qu’on appelle la Ligurie, l’insignifiance du cens électoral, le droit qu’a chaque électeur en Piémont de faire écrire son bulletin par qui il lui plaît, permettaient d’espérer la restauration plus ou moins complète du passé.

Une fois la résolution prise de combattre, le parti se mit de cœur et d’âme à la lutte. Les évêques avaient fait jusqu’alors un cas de conscience à leurs ouailles de prendre part au scrutin; changeant de tactique, ils déclarèrent, dans leurs lettres pastorales, que ne pas voter serait un péché. Une vaste association électorale, dite indipendente, fut fondée à Turin, avec M. Solaro della Margarita, chef de l’extrême droite, pour président, et s’étendit sur tout le royaume. Les plus virulentes attaques, parties des journaux catholiques, déconsidéraient les députés sortans, et les circulaires de M. Solaro, remises discrètement aux électeurs bien pensans par les commis-voyageurs de l’association, représentaient le pays comme gouverné par une «infime minorité de bavards ignorans, de gueux qui votent des impôts qu’ils ne paient pas, et à qui l’on ne ferait pas crédit pour cent livres, d’étrangers qui veulent entraîner le Piémont dans de folles guerres, de fous qui se prennent de tendresse pour les voleurs et les assassins, et les protègent.»

Si efficaces que fussent ces invectives auprès des campagnards, la principale espérance du parti était dans la propagande du clergé. «Écoutez vos curés,» s’écriaient à l’envi les feuilles catholiques. Les lettres pastorales étaient envoyées dans toutes les communes, avec ordre de les lire au prône, et au besoin de les traduire dans le patois de la localité. L’une de ces lettres appelait les ministres «fils du diable.» M. de Cavour, qui a porté ce mot à la tribune, n’a pas été démenti. Les évêques recommandaient aux électeurs «de ne déposer dans l’urne que le nom d’hommes dévoués à l’église, respectueux et obéissants envers son chef visible.» «La divine Providence, ajoutaient-ils, a placé le pays dans de telles conditions politiques, que nous sommes appelés à exercer une espèce de souveraineté dans l’élection de ceux de qui dépendent en partie nos destinées. Nous devons reconnaître dans cet ordre politique les desseins de cette Providence, et par conséquent accomplir les obligations que comportent ces conditions.»

C’était là, nul ne peut s’y méprendre, la résignation des âmes chrétiennes en présence des fléaux de Dieu, jusqu’à ce qu’on puisse mieux faire. Le parti libéral fut complètement dupe. Ne se voyant pas opposer de candidats à l’avance, il crut que presque partout on lui abandonnait la victoire. Il ne se croyait sérieusement menacé qu’à Gènes, où la turbulence du parti radical, allié aux catholiques, ne permettait pas d’établir la silencieuse discipline qui régnait partout ailleurs. Deux jours avant les élections seulement, le 13 novembre, toutes les batteries furent démasquées, trop tard pour qu’on pût réagir en temps utile sur l’opinion abusée des provinces et des campagnes. On eut beau jeter le cri d’alarme, on continua de voir en plus d’un endroit trois ou quatre libéraux se disputer les suffrages, tandis qu’on ne citait pas un seul collège où deux candidats catholiques fussent en présence. A Turin, où les élections ont une importance particulière, le sentiment du danger produisit un résultat fort inattendu. Depuis plusieurs années, M. de Revel, chef de la droite modérée, représentait le septième collège, et le ministère ne lui opposait pas de concurrent; de leur propre mouvement, les électeurs qui le nommaient lui substituèrent, en haine de la réaction, M. Brofferio, le seul républicain de la précédente chambre, et cette candidature fut acceptée par le gouvernement. C’était dire en ternies assez clairs: Plutôt la révolution que la réaction.

La journée du 15 novembre fut peu décisive. Toutefois on pouvait déjà reconnaître que la droite gagnait beaucoup de terrain. Dans la capitale, 5 députés seulement sur 7 furent nommés. C’étaient, il est vrai, 5 libéraux; mais huit jours auparavant ce triomphe aurait paru une défaite. On se félicitait surtout que M. de Revel ne fut pas élu au premier tour de scrutin. Trois ministres sortaient blessés de la lutte: MM. Rattazzi et Lanza, point de mire de l’opposition, étaient soumis au ballottage; le général La Marmora, élu à Bielle, échouait à Pancalieri, qu’il représentait depuis plusieurs années, et où il comptait, ainsi que M. Lanza, sur une nomination à l’unanimité. Tout n’était pas perdu encore, à la condition que les nuances disparussent. De toutes parts, on tâcha de les oublier. Entre les deux scrutins, M. Brofferio remercia ses électeurs de «l’abnégation personnelle» dont ils avaient fait preuve en votant pour lui, et fit une profession de foi constitutionnelle. «Union et patrie, dit-il, liberté et statut, voilà notre drapeau.» Le mercredi 18 eurent lieu les scrutins de ballottage. Les électeurs libéraux, avertis par l’échec du premier jour, montrèrent que pour obtenir une victoire complète il eût suffi de plus d’exactitude et de discipline. MM. Brofferio, Rattazzi, Lanza furent élus; mais les élections de la Savoie produisirent une vive sensation: sur 22 députés, cette province envoyait 20 recrues à la droite. Les victimes de la lutte étaient en général les hommes de position indépendante, bourgeois, propriétaires, négocians, réduits de 60 à 22. L’Aristocratie au contraire comptait parmi les élus il de ses membres, au lieu de 17, qu’elle avait au dernier parlement. Les professeurs, les magistrats, les ecclésiastiques, presque tous appartenant à l’opposition catholique, gagnaient aussi du terrain. En somme, sur 204 députés dont se compose la chambre nouvelle, 92 siègent pour la première fois.

Ce n’était, pour l’opinion catholique, qu’un succès relatif, suffisamment expliqué par le mot d’ordre donné de ne plus s’abstenir et par un prodigieux mouvement d’intrigues électorales. Les chefs de la droite se firent un moment illusion sur la portée de leur triomphe. «On vous gouvernerez avec nous, disaient leurs principaux organes à M. de Cavour, ou nous gouvernerons sans vous.» C’était aller trop vite. Réduit à ses propres forcés, le parti ministériel ne constituait s ns doute qu’une majorité moralement insuffisante; mais, uni à la gauche, il pouvait tenir tête à la droite, et n’avait à craindre que la plus invraisemblable des coalitions entre la droite et des libéraux séparés de lui par une nuance à peine, des catholiques par un abîme, lue commission formée de membres des diverses fractions du parti libéral fut chargée d’arrêter, s’il était possible, les conditions d’une solide alliance. Le mystère gardé sur le résultat de ses efforts permet de croire qu’on ne put complètement s’entendre. Restaient les affinités naturelles; la session près de s’ouvrir allait montrer dans quelle mesure on pouvait y compter.

Le 14 décembre eut lieu la séance royale. Le discours du trône était d’une netteté inaccoutumée. Le roi commençait par donner à la nouvelle chambre le conseil d’accomplir sa mission avec autant de patriotisme et de bon sens que la précédente. «Je suis certain, ajoutait-il, de trouver en vous le mème énergique et loyal concours pour appliquer et développer les principes libéraux sur lesquels repose désormais d’une manière irrévocable notre politique nationale.» C’était un spectacle mémorable que celui de ce prince honnête homme venant, après neuf ans de règne, constater sa fidélité scrupuleuse à la constitution jurée, et s’engager publiquement à ne point reculer devant les développemens qu elle comporte. Il n’était pas jusqu’à ce mot de «commune patrie italienne,» le dernier du discours, qui ne fùt comme une protestation contre le parti qui voudrait que le Piémont restât exclusivement piémontais.

Pour savoir quelle impression ce langage avait produite sur les députés nouvellement élus, il ne fallait pas compter sur la discussion du projet d’adresse: en Piémont, cette réponse au discours du trône n’est qu’une paraphrase rédigée par un seul membre que désigne le président, votée par assis et levé, et n’engageant point les partis. C’était dans la vérification des pouvoirs et la constitution du bureau définitif que la chambre allait trouver un texte à débats poli tiques et l’occasion d’apprécier les forces respectives des partis. Il eût été désirable peut-être qu’elle ne perdit pas un mois entier à vérifier les pouvoirs de ses membres; mais pouvait-elle passer outre aux protestations qui pleuvaient de toutes parts et qui accusaient le parti catholique des plus nombreux, des plus extraordinaires abus d’influence? Il n’y avait à cet égard qu’une voix dans le pays; pouvait-elle ne pas trouver d’échos au sein du parlement?

Dès le 23 décembre, après la nomination des bureaux provisoires, qui fut un premier triomphe pour le parti libéral, commencèrent les discussions politiques. M. Depretis, de la gauche, ayant dit dans un discours sur une difficulté électorale sans importance: «Moi, membre de la minorité, et qui sait pour combien de temps encore?» M. Brofferio s’empressa de s’associer à ces paroles, sans doute pour amener le cabinet à une déclaration de principes. Cette déclaration fut refusée, pour le moment du moins. «L’heure n’en est pas venue, dit M. Rattazzi. Une fois la chambre constituée, le gouvernement s’expliquera, et M. Brofferio verra s’il peut lui donner son appui.» En attendant l’accomplissement de cette promesse, l’accord tacite qu’un intérêt commun avait établi entre la gauche et le centre ne fut pas troublé. On le vit bien au vote sur le principe de l’enquête.

Il s’agissait de savoir s’il y avait lieu d’informer sur les élections qui paraissaient avoir été assurées par l’emploi des moyens spirituels, en d’autres termes par l’intimidation religieuse. La droite par esprit de parti, quelques députés du centre par prudence politique, soutenaient que se prononcer pour l’affirmative, c’était se mettre sur les bras des embarras sérieux, qu’il est fort difficile d’établir juridiquement ce qui est ou n’est pas abus d’influence, et de constater des faits dont la seule trace se trouve dans les protestations intéressées des adversaires de ceux qui sont accusés de les avoir commis. La majorité de l’assemblée, sentant qu’une enquête n’excédait point les limites de son droit, persistait à vonloir percer à jour les mystères de l’influence cléricale. Laissant de cóté les difficultés préjudicielles, elle demandait nettement si, suivant l’heureuse expression du député Mellana, il n’y a pas abus dès qu’il y a usage des moyens spirituels. Non sans doute, sous le régime de la liberté absolue; mais le clergé, loin d’être soumis au droit commun, est subventionné, protégé, honoré, au besoin défendu par l’état. Peut-il lui être permis d’agir comme autorité religieuse sur des paysans ignorans qui ne jurent que par lui? Que les prêtres fassent de la propagande comme les magistrats ou les militaires, en qualité de simples citoyens, rien de plus légitime; mais a-t-on jamais vu un juge menacer des foudres de la loi les électeurs de son ressort, s ils ne votent comme il l’entend?

C’est à cela que se bornaient les prétentions de la majorité, et il est difficile de les trouver exagérées. Elles furent soutenues avec beaucoup d’esprit et de force par MM. Brofferio, Rattazzi, de Cavour. Ce dernier surtout produisit une vive sensation en annonçant que si l’enquête établissait la vérité des faits, le gouvernement chercherait et proposerait à la chambre les moyens les plus propres à prévenir le retour de semblables abus. Aux argumens de leurs adversaires, les députés de la droite ne surent répondre qu’en discutant les faits particuliers. Seul, le chanoine Sotgiu donna comme un programme en opposition à celui du président du conseil. «Le clergé, dit-il, représente la religion, qui est le fondement du statut. Il est donc l’âme de l’état; il est toute lumière. Sans lui, la société périt. Admettez mème la liberté des cultes, et vous retournez au paganisme.» — Il n’en fallait pas tant pour faire décider qu’il y aurait enquête: 82 voix contre 59, telles furent les proportions de la majorité et de l’opposition; mais on ne saurait évaluer à ce dernier chiffre les forces de la droite, quelques amis du cabinet s’étant séparés de lui sur cette question. Une commission fut nommée, où deux membres de la droite trouvèrent place, et l’enquête fut ouverte aussitôt. Plusieurs collèges se trouvaient ainsi privés de leurs députés. Au nombre de ceux qui durent sortir provisoirement de la chambre étaient le marquis Birago (2), directeur, et l’abbé Margotti, rédacteur en chef du journal l’Armonia, organe du parti catholique et absolutiste.

Une autre question fournit aux partis l’occasion de se mesurer pour la seconde fois, celle de l’éligibilité des chanoines. La précédente chambre en contenait deux, et personne n’y avait entendu malice; mais lorsqu’elle en vit arriver cinq, non pas quoique chanoines, mais parce que chanoines, c’est-à-dire avec la prétention de représenter une caste, la chambre comprit la nécessité d’opposer un obstacle à cet envahissement. Peut-être aurait-elle dû aviser plus tôt, car elle s’est donné en cette occasion l’apparence de faire un coup de majorité; pourtant c’est lorsque les abus se produisent qu’on fait pour les réprimer des lois et des règlements auxquels jusque-là personne n’avait pensé. Le véritable tort de la chambre a été d’ériger en principe ce qui n’était qu’une question de proportions et de mesure. Alléguer, pour exclure les chanoines, qu’ils ont une juridiction, et que par conséquent ils sont soumis à la résidence, c’est faire le procès aux militaires, aux professeurs, aux magistrats, outre que le chanoine Scavini a pu déclarer que, depuis quinze ans qu’il fait partie du chapitre de Novare, ce chapitre n’a été consulté que deux fois par l’évêque. Résolue à les exclure, la chambre leur a rappelé qu’ils avaient excipé de la réalité de leur juridiction pour s’affranchir de l’impôt. Une majorité de 83 voix se prononça contre eux; la minorité était de 60 voix, et dans ce nombre figuraient 20 membres du parti libéral.

Sur ces entrefaites, avant mème que le bureau définitif fùt constitué, une modification grave s’accomplissait au sein du cabinet. Déjà au mois de novembre M. Paleocapa, ministre des travaux publics, étant devenu aveugle, avait été remplacé par M. Bona, sénateur, tout en restant lui-mème dans le conseil comme ministre sans portefeuille. Une pareille modification n’avait rien de politique; il n’en était pas de mème de celle que M. de Cavour venait annoncer à la chambre: M. Rattazzi se retirait, et le président du conseil prenait provisoirement le portefeuille de l’intérieur. Comme il administrait déjà les deux départements des affaires étrangères et des finances, il se déchargea des finances sur son collègue M. Lanza, qui ne garda plus l’instruction publique que par intérim, jusqu’à ce que, la situation et l’avenir du cabinet étant établis, on pût songer à le complète. Cette retraite était une résolution grave. Il se peut que M. Rattazzi, excellent légiste, orateur distingué, homme d’état mème, se fùt montré administrateur malhabile, et que l’échec relatif des élections lui fùt en partie imputable; mais personne, dans les conseils du gouvernement, n’était, par son origine et ses opinions, plus sympathique à la gauche: en s’éloignant du pouvoir, n’allait-il pas entraîner dans l’opposition ces alliés encore incertains? Aux interpellations de M. Brofferio, le ministre démissionnaire répondit lui-mème: «Jamais, dit-il, le moindre dissentiment ne s’était élevé entre lui et ses collègues sur les questions importantes. S’il se retirait, c’était pour ôter aux plus modérés de la droite tout prétexte de continuer leur opposition au ministère, et faciliter ainsi la formation d’un grand parti gouvernemental. Il ne cesserait point, du reste, d’appuyer le cabinet de sa parole et de son vote.» M. de Cavour ajouta qu il continuerai de suivre la mème politique que par le passé. Au fond, M. Rattazzi, battu dans sa première campagne électorale, était peu jaloux du périlleux honneur d’en diriger une seconde. Par suite d’élections doubles ou annulées, il y avait dix-neuf collèges à pourvoir: en l’état des partis, les dix-neuf nouveaux députés pouvaient assurer la majorité au ministère ou le mettre en minorité.

C’est dans ces circonstances qu’eut lieu la constitution du bureau définitif. La majorité offrit inutilement ses suffrages à M. Rattazzi, qui avait présidé la chambre précédente avec beaucoup de tact et de fermeté. Sur son refus, elle fit choix de M. Charles Cadorna, président durant la précédente session. Au premier tour de scrutin, les partis se dessinèrent: M. Cadorna eut 58 voix ministérielles, M. Depretis 26 de la gauche, M. Arnulfo 40 de la droite. Au second tour, la gauche, satisfaite d’avoir montré qu’elle n’abdiquait pas, vota tout entière pour le candidat ministériel, qui fut élu par 88 voix contre 44 données à M. Arnulfo. En récompense, elle obtint la première vice-présidence pour M. Depretis, à la majorité de 93 voix. Les autres nominations appartinrent toutes au parti libéral, à la réserve d’un secrétaire, que par convenance la majorité crut devoir accorer à la minorité.

L’heure était venue où, pour se conformer à la promesse de M. Rattazzi, le gouvernement aurait dû exposer ses plans et sa politique; mais peut-être cette promesse était-elle pour quelque chose dans la retraite du ministre de l’intérieur. M. de Cavour croyait que le discours du trône et ceux qu’il avait prononcés lui-mème depuis l’ouverture de la session le dispensaient de revenir sur sa politique. Il se borna, en prenant le portefeuille de l’intérieur, à adresser aux intendans et à publier une circulaire qui a toute la portée d’un programme sans en avoir les prétentions. «Le cabinet, y était-il dit, entend rester fidèle à ces maximes libérales de politique intérieure et extérieure qui ont constamment marqué sa conduite. Il veut persévérer dans la voie de progrès régulier qu’il a suivie jusqu’ici, et développer, en vertu du statut, les principes qui doivent achever l’édifice social et politique de la monarchie nationale.» M. de Cavour maintenait en mème temps le droit qu’a le pouvoir d’intervenir dans les élections, et son intention bien arrêtée, tout en respectant la religion et ses ministres, de ne pas laisser entamer l’indépendance du pouvoir civil.

La fermeté de ce langage et l’active, mais toujours loyale intervention du ministre assurèrent le succès des élections complémentaires. Deux ou trois des nouveaux députés à peine vinrent s’asseoir sur les bancs de la droite. La chambre discuta et vota quelques lois d’intérêt pratique, sur les subsides à accorder aux écoles spéciales, sur le traité de commerce entre la Belgique et le Piémont, sur la création des écoles normales; celle-ci, malgré l’urgente nécessité, trouva 50 voix d’opposition dans le parti catholique, et ne fut adoptée qu’à la majorité relative de 24 voix. Puis on ajourna les séances publiques, afin de laisser aux bureaux le temps d’étudier divers projets importans soumis au parlement par le cabinet.

Vers le mème temps s’ouvraient à Gènes les débats du procès pour l’échauffourée du 29 juin 1857. L’acte d’accusation était connu depuis la fin de novembre, contrairement aux usages français, qui sont de ne le publier qu’à l’ouverture des débats contradictoires; le tribunal de Gènes ne s’assembla pour y procéder que le A février: Al accusés étaient prèsens, dont les plus importans étaient M. Savi, directeur de l’Italia del Popolo, et un fabricant de parapluies, du nom de Prina, orateur populaire dans les troubles de 1855, et qu’on fut surpris d’entendre s’exprimer avec une parfaite convenance. A la réserve de ces deux accusés, d’un peintre et de trois étudians, tous les autres étaient des ouvriers. Il y avait en outre 22 contumaces, au nombre desquels se trouvait M. Mazzini. Miss Meriton White, amie de M. Mazzini et connue par une traduction des mémoires d’Orsini, avait été mise hors de cause. On a cité une lettre de M. Mazzini à miss White, postérieure au 28 juin, dans laquelle cet acharné conspirateur se déclare plus disposé que jamais à poursuivre cette lutte désespérée contre tous les pouvoir organisés, dès qu’il en aura réuni les moyens. Le 20 mars, les dépositions des nombreux témoins et les plaidoiries des avocats étant terminées, les juges prononcèrent la sentence au milieu de l’indifférence publique, que les débats n’avaient pu dissiper: 6 accusés furent condamnés à vingt ans de travaux forcés et à dix ans de surveillance, 1 à treize ans de travaux forcés, 4 à douze, 3 à dix, 1 à sept; 25 accusés furent rendus à la liberté comme non coupables, et 1 comme suffisamment puni par l’emprisonnement préventif. M. Savi était au nombre des condamnés à dix ans de travaux forcés. Quant aux contumaces, 6 furent condamnés à mort, dont M. Mazzini, 3 à vingt ans de travaux forcés, 3 à douze ans, 7 à dix ans; 3 furent acquittés. Il y avait tout lieu de croire qu’avant peu de temps plusieurs des condamnés éprouveraient les effets de la clémence royale.

La suspension des débats parlementaires laissait à M. de Cavour des loisirs dont il avait grand besoin pour poursuivre une-affaire qui prenait de graves proportions. Le procès des complices du colonel Pisacane venait de commencer à Salerne, et la publicité donnée à l’acte d’accusation avait appris au gouvernement sarde qu’il s’était trop facilement laissé persuader que le navire le Cagliari avait été saisi dans les eaux napolitaines. Convaincu par la lecture des documens officiels que cette capture avait eu lieu en pleine mer, M. de Cavour crut devoir, pour la dignité de son pays, réclamer contre cette violation du droit des nations. En conséquence, il demanda au gouvernement des Deux-Siciles la restitution immédiate du navire et la mise en liberté des personnes arrêtées: sur le refus de M. Carafa, il prit la résolution de ne pas s’en tenir là; mais, voulant obtenir l’appui moral des alliés du Piémont, il adressa aux chargés d’affaires de ce pays un memorandum destiné à être mis sous les yeux des cabinets étrangers (30 mars).

Les explications échangées entre les deux gouvernemens, disait le ministre, n’ayant abouti jusqu’à ce jour à aucun résultat satisfaisant, un grave conflit peut s’élever entre les deux cours. Il exposait ensuite brièvement les faits. Le Cagliari avait une destination connue, il faisait un service périodique: officiellement chargé du transport des dépêches, il était muni de sa patente de nationalité et de ses papiers de bord. Après avoir déposé à terre les insurgés et leur chef, le colonel Pisacane (3), le capitaine Sitkzia, commandant le navire, s‘était empressé de rédiger et de faire signer par l’équipage et les huit passagers, qui ne participaient pas au complot, un procès-verbal des faits, et, de leur aveu à tous, il avait mis le cap sur Naples, afin de faire sa déclaration au consul piémontais. Dans le trajet entre Sapri et Naples, il est rencontré par deux frégates napolitaines, le Tancredi et l’Ettore-Fieramosca. Un coup de canon lui enjoint de s’arrêter, il obéit aussitôt. Les deux frégates s’emparent du navire le conduisent à Naples, où il est déclaré de bonne prise. Cependant les procès-verbaux, rédigés par les capitaines des deux frégates eux-mèmes, reconnaissaient qu’il avait été capturé en pleine mer, c’est-à-dire sur un terrain neutre. Les mèmes documens constatent qu’au moment de la capture, il n’y avait plus à bord aucun des conjurés, que le bateau était désarmé, qu’il manquait du charbon nécessaire pour une longue course, qu’il ne commettait aucun acte criminel ou hostile, et qu’il était munì des papiers qui constataient sa nationalité et sa destination.

Avant de réclamer auprès du gouvernement napolitain,le gouvernement sarde, quoiqu’il fùt convaincu de l’illégalité de la capture, voulut s’éclairer des lumières du conseil du contentieux diplomatique, récemment institué à Turin. L’avis de ce conseil fut que la capture était illégale, et que le cabinet avait le droit de demander la restitution du navire et la mise en liberté des individus arrêtés à bord, nonobstant le procès commencé à Naples, tous les actes postérieurs à la capture étant frappés de nullité radicale.

Ces conclusions, poursuit le memorandum, se fondent sur les principes les plus clairs et les plus précis du droit public. La capture en pleine mer n’est légitime qu’en temps de guerre sur les bâtimens de l’ennemi, ou en temps de paix sur les pirates. Or Naples n’est en guerre contre aucune puissance, et les conditions où se trouvait le Cagliari prouvent surabondamment qu’il ne peut être considéré comme pirate. C’est ce que soutenait le gouvernement sarde dans deux dépêches adressées au cabinet de Naples, en date l’une du 16 janvier, l’autre du 18 mars. — Le reste du memorandum n’est guère que la réfutation des argumens opposés par M. Carafa aux deux dépêches dont il vient d’être question.

Que disait donc M. de Cavour dans celle du 18 mars, qui entre plus au cœur de l’affaire? 11 protestai t contre la prétention du gouvernement napolitain de regarder les faits comme étant d’une nature purement contentieuse, et par conséquent du ressort de la justice. Cette prétention ne serait admissible que si le sujet du débat, relevait uniquement du droit privé; mais le droit des nations y est évidemment intéressé, et par conséquent la diplomate est seule compétente. Il s’agit de la défense des droits maritimes de la Sardaigne; comment donc ce pays pourrait-il se soumettre à la décision de tribunaux qui relèvent du gouvernement avec lequel il est en discussion? Ce serait plutôt le cabinet de Naples, s’il croyait avoir à se plaindre du capitaine Sitkzia et de son équipage, qui aurait dû porter plainte devant les tribunaux sardes, seuls compétents. Le jugement de valable saisie et l’emprisonnement des hommes sont les conséquences d’une saisie illégale contre laquelle le gouvernement sarde a protesté dès le premier moment. Or M. Carafa ne prouve pas la légitimité de la saisie, il se borne à l’affirmer. Le Cagliari n’étant point agressif et poursuivant sa route, les frégates napolitaines n ’avaient que le droit de taire une enquête sur sa nationalité.

Les autres argumens de M. Carafa, poursuit la note du 18 mars, n’ont pas plus de valeur. Il est facile de supposer que le navire allait peut-être chercher d’autres prisonniers politiques pour les conduire vers les nouveaux débarqués; mais ce n’est qu’une hypothèse d’autant moins vraisemblable qu’à bord il n’y avait plus de charbon. Que devient la sécurité du commerce si, sur un simple soupçon, l’on peut saisir un navire? Prétendre que le Cagliari, quand il a été saisi, se trouvait en vue des côtes, c’est ne rien dire, puisque la mer libre commence à une lieue marine du rivage, en d’autres termes à une portée de canon. En vain M. Carafa s’appuie-t-il sur le droit international pour affirmer que tout acte d’hostilité commis par un navire, mème sous pavillon ami, donne droit de le saisir: on le défie de citer ses autorités; il torture les textes, de mème qu’il interprète mal la fameuse affaire du Carlo-Alberto, ce navire qui portait en France la duchesse de Berri, et qui ne fut point décrété de bonne prise, bien qu’il eût été saisi dans les eaux françaises, après un acte évident d’hostilité. La capture du Cagliari est donc une violation du territoire sarde. Si le gouvernement napolitain ne fait pas droit aux réclamations présentées, le cabinet de Turin aura à prendre telles mesures que la gravité du cas et les droits méconnus de l’état pourraient rendre nécessaires.

L’analyse qui précède donne une idée des argumens sur lesquels M. Carafa se fondait pour refuser satisfaction à la Sardaigne. En réponse au memorandum piémontais, ce ministre en.adressa un aux gouvernemens étrangers, où les textes d’auteurs obscurs sont multipliés, mais où l’on ne trouve guère que deux ou trois argumens nouveaux, en dehors de ceux que M. de Cavour avait déjà réfutés. «Les auteurs sont d’avis,dit M. Carafa, qu’un acte d’hostilité justifie la capture de tout navire, mème en pleine mer; or dans l’espèce le cas d’hostilité est flagrant. La pleine mer n’est pas un terrain neutre, mais libre, c’est-à-dire commun à toutes les nations pour y poursuivre leur droit. La Sardaigne reconnaît qu’on aurait eu le droit de saisi le Cagliari, si la poursuite, commencée dans les eaux de Naples, avait été continuée, sans désemparer, jusqu’en pleine mer; or c’est ici le cas. Puisque au premier coup de canon des frégates le navire s’est arrêté, c’est apparemment.qu’il.reconnaissait la juridiction napolitaine. Enfin, en 1848, un navire napolitain ayant saisi des rebelles siciliens, parmi lesquels se trouvait un Maltais, sujet anglais, lord Palmerston reconnut la illégitimité de cet acte dès qu’il fut prouvé qu’il n’avait pas eu lieu sous la portée du canon des Iles-Ioniennes.»

Il est inutile «de réfuter des argumens dont, au simple énoncé, chacun sent la portée. Le gouvernement français et le gouvernement anglais donnèrent, dès le premier moment, raison à la Sardaigne. Le congrès de Paris ayant admis que le pavillon couvre la marchandise, mème en temps de guerre, on ne pouvait permettre à personne de prétendre que le pavillon ne couvre pas le navire et l’équipage qui le monte, surtout en temps de paix. La dépêche suivante de lord Clarendon prouve quels étaient à cet égard, à la date du 29 décembre 1857, les sentimens du cabinet de Saint-James:

«Le comte Clarendon à sir James Hudson.

«Foreign Office, 29 décembre 1857.

«Monsieur, je vous invite à demander au comte de Cavour si le gouvernement sarde entend faire des objections sur la conduite du gouvernement napolitani dans l’affaire du Cagliari, en se fondant sur le principe que les vaisseaux de guerre napolitains n’avaient point le droit de poursuivre le Cagliari et de le capturer au-delà de la juridiction territoriale des Deux-Siciles. Un navire de guerre d’un pays n’a aucune juridiction en pleine mer sur un bâtiment marchand d’un autre pays: il a le droit d’exiger la production des papiers prouvant sa nationalité, et quand ceci est établi, le vaisseau de guerre n’a pas le droit d’intervenir, à moins que le navire marchand ne soit pris en flagrant délit de piraterie; mais nul acte de ce genre n’était commis au moment de la capture du Cagliari, qui continuai pacifiquement son voyage et retournait à Gènes, autant que les vaisseaux napolitains le pouvaient supposer.

«Il est vrai qu’il a été dit que le capitaine et l’équipage se dirigeaient vers Naples avec l’intention de se rendre spontanément avec leur bateau aux autorités napolitaines; mais il semble au gouvernement de sa majesté que ce serait une plaisanterie et un abus de mots que de dire que ces hommes s«sont rendus volontairement aux deux frégates napolitaines, qui avaient tiré le canon pour appeler le Cagliari à l’obéissance, et qui même étaient disposées à le couler à fond, s’il ne s’était pas rendu.

«Le gouvernement de sa majesté serait heureux de savoir si le gouvernement sarde est d’avis que le Cagliari a été livré spontanément par son capitaine, ou si le gouvernement sarde est disposé à soutenir que le Cagliari, été capturé par les frégates napolitaines au-delà des limites de la juridiction territoriale de Naples.

«Je suis, etc.

«CLARENDON.»

Malheureusement pour le gouvernement sarde, depuis cette époque lord Derby avait succédé à lord Palmerston, l’attentat du 14 janvier avait relâché les liens de l’alliance entre la France et l’Angleterre. Forcé de se rapprocher de l’Autriche, et par conséquent de s’éloigner du Piémont, le cabinet tory devait se montrer moins rigoureux à l’égard du roi de Naples. Ce prince, ayant eu l’habileté de comprendre la situation, s’empressa d’en profiter et de désintéresser l’Angleterre de la querelle relative au Cagliari, en rendant à la liberté les deux machinistes anglais de ce navire, tandis qu’il retenait prisonnier tout le reste de l’équipage, innocent ou coupable au mème degré. Il ne restait plus dès lors, pour lord Malmesbury, le nouveau chef du Foreign-Office, qu’à trouver l’occasion de battre en retraite. Il la trouva dans les termes d’une note en date du 5 janvier, remise à M. de Cavour par sir James Hudson, ministre anglais à Turin, et où ce diplomate assurait au gouvernement sarde que l’Angleterre était prête à s’associer à ses réclamations vis-à-vis de Naples. Profitant de ce que cette affirmation, très conforme à l’esprit des instructions données par lord Clarendon, et notamment de la dépêche citée plus haut, était contraire à la lettre de ces instructions, et feignant d’ignorer l’existence d’instructions confidentielles qui pouvaient seules expliquer le langage de sir J. Hudson pendant plus d’un mois, lord Malmesbury se plaignit très vivement de cette infidélité qui engageait l’Angleterre plus loin qu’elle ne voulait aller: le nouveau ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne fit appel au dévouement, au patriotisme de ses agens, convaincu qu’ils n’hésiteraient pas à se sacrifier pour dégager leur gouvernement. En effet, M. Erskine, secrétaire de la légation, avoua qu’il avait substitué par inadvertance dans la copie, à une phrase interrogative sur les intentions du cabinet sarde, une phrase très affirmative sur celles du cabinet britannique, et sir J. Hudson confessa quii avait le tort de ne pas relire la copie des notes qu’il signait, lorsqu’une fois il en avait approuvé la minute. M. Erskine fut rappelé pour donner des explications, et le gouvernement anglais se regarda comme dégagé.

En vain M. d’Azeglio, ministre sarde à Londres, protesta-t-il contre cet abandon, disant que les conseils et l’appui du gouvernement anglais avaient dû avoir beaucoup d’influence sur la décision du cabinet de Turin; en vain déclara-t-il que M. de Cavour, soutenu ou non soutenu, poursuivrait f affaire avec modération, mais avec fermeté. En supposant que le refus formel opposé par le roi de Naples aux demandes de la Sardaigne amenât entre les deux états une rupture des relations diplomatiques, cette perspective n’avait rien de fort effrayant, puisqu’une pareille situation existe depuis longtemps déjà entre l’Autriche et la Sardaigne, entre la France et l’Angleterre d une part et les Deux-Siciles de l’autre. Quant à des hostilités déclarées, il était clair qu’elles seraient le signal d’une guerre européenne, et que par conséquent les puissances sauraient bien les empêcher. Cette affaire se terminait heureusement sans justifier d’aussi graves appréhensions. Le roi de Naples, saisissant une occasion de paraître céder à l’Angleterre plutôt qu’au Piémont, remettait lo Cagliari et son équipage à l’agent anglais chargé de les réclamer sous forme comminatoire. En réalité, le Cagliari était rendu au Piémont, qui s’était entendu avec l’Angleterre, et il ne restait à régler que des questions de détail, dont la solution ne pouvait se faire attendre (4).

Les embarras suscités par l’affaire du Cagliari n’étaient pas les seuls qui attirassent l’attention du cabinet sarde. L’attentat du 1 h janvier 1858 avait créé une situation pleine de périls. En présence des alarmes manifestées et des garanties demandées parie gouvernement français contre les complots organisés sur ses frontières, quand la puissante Angleterre elle-mème faisait ce sacrifice à l’alliance de proposer au parlement une modification assez grave à sa législation, le Piémont ne pouvait refuser une marque de bonne volonté. En conséquence, le journal radical la Ragione ayant publié une correspondance de Paris de nature à éveiller les susceptibilités du cabinet des Tuileries, le gérant fut d’office traduit devant les tribunaux. Le jury, qui n’existe dans les états sardes que pour les affaires de presse, prononça un verdict d’acquittement fondé sur ce motif que le délit poursuivi se trouvait dans une correspondance qui n’exprimait et n’engageait point l’opinion du journal. Cet échec et une note pressante du gouvernement français ne permettaient pas à M. de Cavour de s’en tenir là: il se décida donc à présenter aux chambres un projet de loi par lequel des peines étaient édictées contre les complots qui menaceraient la vie des souverains étrangers. Ce projet donnait en outre une définition plus précise de l’apologie de l’assassinat politique et Cxait le minimum de la peine destinée à réprimer ce délit. Enfin les jurés ne devraient plus désormais ètre tirés au sort; une connnission ad hoc les choisirait panni les citoyens mèmes de la ville où siégerait la cour d’appel devant laquelle le procès de presse serait porté.

C’était une résolution bardie que de présenter un tei projet de loi. Il devait soulever l’opposition de la gauche, et pouvait donner à la droite, dont il flattait les tendances, la tentation de le repousser, non pour lui-mème, mais pour amener la chute du cabinet. Jusque dans les rangs du parti conservateur libéral, ce projet excitait de vives répugnances. On l’appelait malheureux, on estiinait peti honorable de niodifier l’institution du jury et d’altérer la législation sur la liberté de la presse pour un cas juridique qui ne touche que les gouvernemens étrangers; on jugeait illibéral le triage des jurés et le large droit d’exclusion concèdè au gouvernement. Cependant M. de Cavour n’hésita pas entre la crainte de compromettre momentanément son existence ministérielle et celle de faire perdre à son pays l’amitié de la France. Devant l’opposition, universelle au premier abord, des libéraux de toutes les nuances, il ne faiblit pas un instant.

La commission nommée par la chambre des députés se composait de sept membres. Cinq se prononcent pour le rejet pur et simple de la loi; ils se donnent pour président M. Brofferio et pour rapporteur M. Valerio. Le rapport de M. Valerio, distribué le 30 mars aux députés, n’avait pas de peine à battre en brèche le projet de loi au point de vue légal. En aucun pays, la vie des souverains étrangers n’a été l’objet d’une législation spéciale; on s’est contenté des garanties qui protègent la vie de tout homme: pourquoi le Piémont inaugurerait-il un système nouveau, sacrifice en échange duquel il n’obtiendrait pas, mème en France, la réciprocité? Il était facile aussi de montrer que les modifications proposées à l’institution du jury sont complètement illibérales. La partie faible du rapport est celle où, prenant le projet de loi au point de vue politique, M. Valerio affirme qu’il éloignera le Piémont de la France, que la France doit vouloir des amis et non pas des vassaux, et que ce n’était pas une recommandation aux yeux du pays que d’avoir présenté ce désastreux ensemble de mesures pour être agréable au cabinet des Tuileries.

Les débats s’ouvrirent à la chambre des députés sous le coup des graves réflexions que faisait naître ce rapport. Dès le premier moment, il fut clair que la loi ne serait pas rejetée. La droite, par une manœuvre singulière, avait voté dans les bureaux pour les commissaires hostiles au projet de loi, et leur avait ainsi assuré la majorité; dans la discussion publique, elle n’osa plus se montrer assez désireuse du pouvoir pour repousser des mesures qui n’avaient à ses yeux d’autre défaut que de n’être pas assez énergiques. M. Solaro della Margarita, chef de l’extrême droite, combattit la loi en paroles, mais il annonça qu’il la voterait; M. de Revel fit la mème déclaration.sous cette réserve toutefois que les amendements ne viendraient pas en changer l’esprit. En présence de cette nouvelle attitude de la droite, la gauche n’avait plus à craindre de renverser le cabinet par un vote hostile; aussi se donna-t-elle libre carrière pour attaquer une loi dont les tendances illibérales ne pouvaient être niées. L’un de ses chefs, M. Depretis, avait fait tous ses efforts, avant la discussion, pour faire comprendre à ses amis que par esprit politique il fallait imposer silence à des répugnances légitimes, afin de ne pas livrer le pouvoir à la droite; une fois la volte-face des catholiques connue, il ne craignit pas de monter à la tribune pour attaquer le projet de loi. Ses attaques du reste furent aussi modérées que celles de M. Brofferio parurent impolitiques. Le plus sérieux argument parti des bancs de la gauche fut donné par M. Mellana: «Le vrai motif qui vous fera voter cette loi, dit-il, c’est la crainte de désobliger la France; eh bien! éloignez cette crainte. Nous sommes les alliés naturels de la France; l’intégrité du Piémont est pour elle une nécessité par suite de son éternelle rivalité avec l’Autriche. Il se pourrait qu’un moment elle parut se refroidir à notre égard; mais le jour où nous serions menacés, elle s’empresserait de revenir à nous.»

Parmi les nombreux défenseurs que rencontra le projet du gouvernement au sein de la majorité libérale, MM. Rattazzi et de Cavour produisirent surtout une vive impression. M. Rattazzi faisait plus qu’un discours, il faisait un acte. Jurisconsulte habile, il défendit la loi au point de vue légal de manière à prouver que son aptitude naturelle l’appelle au ministère de la justice. Ce triage des jurés, dont on se plaint si vivement, a lieu en Angleterre, en Belgique, en France, et mème avec cette modification le système piémontais restera le plus libéral de l’Europe. Quant à M. de Cavour, son discours fut un exposé vif et complet de la situation politique. Remontant jusqu’au lendemain de la défaite de Novare, il montra que le roi avait à choisir entre deux systèmes, celui de M. Solaro della Margarita, qui consistait à rester exclusivement piémontais, à ne s’occuper que d’intérêts matériels, et l’autre, celui qui a été suivi, par lequel, sans violer les traités, on continuait l’œuvre de Charles-Albert en regardant au-delà des frontières. L’application de ce système a eu lieu en deux périodes: dans la première, M. Maxime d’Azeglio, chef du gouvernement, s’attache à montrer que la liberté est possible en Italie; dans la seconde, M. de Cavour, qui lui succède, profite de l’ascendant moral conquis par le Piémont pour travailler au bien de l’Italie. Ce système a donné au gouvernement du roi des sympathies qui ne se sont pas manifestées seulement sur ses frontières: à boston, et mème chez les Birmans, on en a recueilli des témoignages que les ministres d’avant 1848 ne pourraient citer en faveur de leur politique. Néanmoins il était évident que certaines puissances se montreraient blessées; par conséquent il fallait des alliances, car M. de Cavour ne partage pas les illusions militaires de M. Brofferio, qui croit que le Piémont peut se suffire. Or on peut très bien s’allier à des gouvernemens dont on ne professe pas les principes, témoins les Suisses alliés de Louis XI, Washington allié de Louis XVI. Attendre que la France eût un gouvernement plus conforme par ses principes à celui du Piémont eût été une imprudence d’autant plus grande, qu’on a vu en 1848 combien peu il fallait compter, pour le triomphe de la cause nationale, sur une république française. M. de Cavour expliquait ensuite dans quelles circonstances le projet de loi avait pris naissance. Il ne niait point la dépêche française qui lui demandait des mesures répressives, mais il déclarait qu’elle était conçue en termes qui permettaient d’y obtempérer sans mériter l’accusation de faiblesse. Son premier soin, après l’attentat du là janvier, fut de signaler au gouvernement pontifical les inconvéniens d’un système de rigueur qui polisse à l’émigration et multiplie indéfiniment le nombre de ces hommes désespérés par l’exil, par la souffrance, et qui, dénués de ressources, viennent grossir les rangs du parti mazzinien et se portent enfin aux dernières extrémités. La nécessité de ne pas rester désarmé devant de pareils forcenés, l’introduction de l’assassinat politique parmi les moyens les plus propres à réaliser leurs plans, l’avis donne par l’Angleterre que la vie du roi Victor-Emmanuel lui-mème était menacée, tels ont été les motifs déterminants du cabinet pour présenter le projet de loi en discussion.

Le président du conseil eût préféré, quant à lui, présenter une loi pour étendre l’institution du jury aux crimes communs; mais il a été retenu par le souvenir de l’opposition que cette mesure a déjà rencontrée à deux reprises dans les chambres comme dans le pays. Il termine enfin en posant nettement la question ministérielle et en déclarant avec force qu’il a pu se tromper sur des questions intérieures ou de finances, mais qu’il est sur d’avoir toujours suivi la meilleure voie et la plus nationale dans les questions extérieures.

Après cet important discours, la discussion générale put continuer encore; mais, à vrai dire, elle était finie. M. Robecchi, un des rares membres de la gauche qui s’étaient décidés à voter la loi, donna une explication assez heureuse de son vote. Tout le monde, dit-il, devrait faire ce sacrifice: les uns diis superis, ut juvent, les autres diis inferis, ne noceant. M. de Cavour prit encore plusieurs fois la parole pour répondre aux interpellations qui lui étaient adressées: à M. Menabrea, de la droite, il dit qu’il n’admettait pas la nécessité de faire une balte pour ne pas perdre les fruits de 18/x8; à M. Depretis, de la gauche, que, les élections n’ayant pas renforcé le parti libéral, le moment serait mal choisi pour se lancer tète baissée en avant, mais qu’il comptait poursuivre sa marche avec prudence, et que, si le cabinet ne faisait pas naufrage dans cette session, il s’engageait volontiers, pour la suivante, à présenter un projet de loi sur la réforme administrative. On vota ensuite sur la question de savoir s’il fallait passer à la discussion des articles: 128 députés se prononcèrent pour l’affirmative et 29 seulement pour la négative. Dès ce moment, la majorité de la commission disparaissait, et la minorité, composée de MM. Miglietti et Buffa, devenait la commission elle-même. Ces députés avaient préparé des amendemens, dans un sens libéral, aux trois articles dont se composait le projet de loi. A la peine des travaux forcés que proposait le gouvernement pour le crime de conspiration, ils firent substituer celle de la réclusion: les magistrats restent chargés de définir ce qu’il faut entendre par actes préparatoires à l'exécution du crime, expression adoptée à la place de celle que proposait la commission: actes en vue de préparer, etc.

Un membre avait demandé qu’on introduisit dans la loi le principe de réciprocité, et qu’elle n’eût son effet qu’à l’égard des gouvernemens qui adopteraient des mesures semblables. C’eût été reconnaître que le cabinet avait la main forcée, car, si l’acte qu’il s’agit de punir est mauvais, pourquoi ne le punir que sous condition? La chambre se rangea sur ce point à l’avis exprimé par le ministre de grâce et justice. L’article 2, relatif à l’apologie de l’assassinat politique, fut adopté tel que le proposait la minorité de la commission: malgré l’opposition de M. Solaro della Margarita, le jury connaîtra de ce délit, qui ne pourra être puni que des peines correctionnelles portées à l’article 24 de la loi du 26 mars 1848. Toutefois le ministre Deforesta a fait exclure les simples peines de police, comme insuffisantes. Il a été entendu, dans la discussion, qu’on réserverait les droits de l’historien: les explications données à ce sujet rendaient inutile un amendement par lequel certains députés voulaient restreindre le délit à l’apologie de l’assassinat politique commis dans notre siècle.

C’est sur l’article 3, relatif au jury, que fut adopté l’amendement le plus propre à modifier profondément le caractère de la loi, et à montrer qu’elle n’était qu’une mesure d’exception. La chambre décida, sur la proposition de plusieurs membres du centre gauche et de la gauche modérée, que les prescriptions de l’article 3 cesseraient d’avoir leur effet à la fin de l’année 1862. Puis, sous la forme d’un ordre du jour motivé, elle adopta la seconde partie de ce mème amendement, par lequel le ministère était formellement invité à présenter, durant la session prochaine, une loi qui appliquât l’institution du jury aux crimes d’ordre commun et à tous les délits de presse. Les lois sardes en effet ne permettent pas, jusqu’à présent, de soumettre au jury les délits de presse contre la religion et le clergé. M. Miglietti avait rédigé un amendement à Pellet de faire cesser cette exception; mais la certitude où il était d’enlever à la loi par cette proposition les suffrages de la droite, sans lui gagner ceux de la gauche, qu’éloignait invinciblement le triage des jurés, décida l’orateur à la retirer, sauf à la représenter en 1859, quand un projet général sur le jury sera soumis aux délibérations du parlement. En présence de cette promesse, il importait peu de savoir qui sera chargé, pendant l’intervalle des deux sessions, de dresser cette liste de jurés choisis parmi les plus capables. Après une aussi longue discussion, la chambre avait hâte d’en finir: le projet fut voté par 110 voix contre 42. L’augmentation du nombre des opposans, si l’on rapproche de ce scrutin celui qui avait eu lieu sur le principe mème de la loi, s’explique par la nature des amendemens adoptés et par le rejet de quelques autres, dont certains membres, tantôt de la gauche, tantôt de la droite, avaient fait la condition sine qua non de leur adhésion.

Quoi qu’il en soit, le cabinet sarde est sorti victorieux de cette épreuve que tout le -monde, au début, croyait devoir lui être fatale. L'opinion comptait tellement sur le rejet de la loi, qu’on détournait vivement M. de Cavour de poser à cette occasion la question de cabinet. Cet homme d’état n’a point cru devoir suivre ce conseil, et l’événement lui a donné raison. Il est vrai qu’avant mème d’annoncer ses intentions à cet égard, il avait vu la droite se rallier à la loi, dans la crainte de paraître guidée exclusivement dans son opposition par son désir de pousser ses chefs au pouvoir. Dès lors le mécontentement de la gauche n’était plus à redouter, et ce parti pouvait prendre une attitude conforme à ses principes, à ses précédens, sans appréhender la chute d’un ministère au maintien duquel il eut sacrifié, s’il l’eût fallu, ses répugnances; c’est à la politique libérale du cabinet de resserrer les liens un instant relâchés de l’alliance formée, au commencement de la session, entre les diverses fractions du parti libéral.

Parvenue à ce moment de sa session, la chambre avait discuté et vote seize projets de loi; avant de se séparer, elle en a encore voté trente-un, en tout quarante-sept, dont plusieurs de la plus haute importance. Nous reviendrons dans l’Annuaire prochain sur ces débats intéressans; mais nous devons, dès à présent, indiquer celles des lois votées qui ont occasionné les plus graves et les plus longues discussions. Le gouvernement demandait à être autorisé à emprunter 40 millions, rendus nécessaires en grande partie par les travaux votés du percement du Mont-Cenis et de l’établissement d’un port militaire à la Spezzia. Cette somme a été accordée par 97 voix contre 62, après quinze jours d’une remarquable discussion. Puis sont venus les débats sur la levée de la classe de 1858, sur la réorganisation du service consulaire, et sur les budgets des différens ministères. Il faudrait ajouter encore la grande discussion sur les rapports de la commission d’enquête. La chambre a annulé toutes les élections qui lui ont paru entachées de manœuvres cléricales; les députés nommés à l’aide de ces manœuvres n’ont point été réélus par leurs électeurs, et la position du ministère, un moment ébranlée par le résultat assez obscur des élections générales, a été raffermie par la signification très claire et très nette de ces élections partielles. Le 14 juillet, la session était close.

— HISTOIRE ADMINISTRATIVE —

Budget. — Caisse ecclésiastique. — Caisse d'épargne. — Marine marchande. — Commerce de la soie. — Service consulaire. — Instruction publique. — Mouvement littéraire.

BUDGET. — Le budget présente aux chambres le 22 février 1858 pour l’exercice 1859 donne en résumé les chiffres suivans:

Passif - Dépenses ordinaires

145,110131 1 94 c

Passif - Dépenses extraordinaires

12,464,120 29

Total

157,574,252 1 23 c

Actif - Recettes ordinaires

145,810738 1 41 c

Actif - Recettes extraordinaires

200,026 20

Total

45,410,764 1 61 c

Ainsi, sur le budget ordinaire, un actif de

100,606 1 47 c

Sur le budget extraordinaire, un passif de

12,264,094 09

Ce qui donne un déficit total de

12,163,487 1 62 c


En comparant ces chiffres avec ceux du budget de l’année 1858, approuvé par une loi, on obtient le résultat suivant:


RECETTES

DÉPENSES

DÉFICIT

EXCÉDANT

l c l c l c l c
Recettes et dépenses (1859) 145210,738 41 145,110,131 94 » » 100,606 47
ordinaires (1858) 143,959,854 51 143,451,766 82 » » 508,087 69
Recettes et dépenses (1859) 200,026 20 12,464,120 29 12,264,094 09 » »
extraordinaires (1858) 1,022,666 53 16,185,547 87 15,162,881 34 » »
1859 145,410,764 61 157,574,252 23 12,163,487 62 » »
1858 144,982,521 04 159,637,314 69 14,654,793 65 » »

Ces calculs, que le ministre des finances espère voir confirmés par les faits, démontrent que si le budget de 1859 présente un déficit de 12,163,487 1. 62 c. (celui de 1858 n’offrait qu’un déficit de 3,753,740 1. 60 c.), la cause unique en est aux dépenses extraordinaires d’utilité publique ou de sécurité pour l’état. La plupart de ces dépenses ont déjà d’ailleurs été approuvées par des lois, et les recettes ordinaires non-seulement sont en équilibre avec les dépenses ordinaires, mais encore elles les surpassent, comme cela a déjà eu lieu dans le budget de 1858.

Si l’on veut considérer que dans les dépenses ordinaires sont comprises 5,900,000 1. environ pour l’amortissement des rentes au moyen d'achats au cours, opération qui ne pourrait convenablement s’effectuer tant que les finances sont réduites à recourir au crédit public pour faire face à l’excédant de dépenses qui résulte du budget extraordinaire, on verra que le budget ordinaire actif pour 1859 offre un excédant de 6,000,606 1. 47 c., qui sert 4 diminuer d’autant le déficit du budget passif pour les dépenses extraordinaires, en le réduisant à 6,263,487 1. 62 c.

Les dépenses sont réparties, entre les différens ministères, de la manière suivante:



DÉPENSES TOTALES DIFFÉRENCE POUR 1859

Proposées pour 1859 Approuvées
en 1858
En plus En moins



l c l c l c l c

Dotations 4860,220 91 4,860,220 91 » » » »

Dette publique 40,702,059 96 40,478,297 96 223,762 » » »
Finances Intérêts des bons
du trésor
1,000,000 » 1,000,000 » » » » »

Action du chemin
de fer de Suze
387,600 » 450,000 » » » 62,400 »

Dette viagère 9,780,674 97 9,647,210 93 133,464 04 » »

Dépenses diverses 23,443,961 83 22,768,216 14 675,745 69 » »

Grâce et justice 5,275,798 42 5,276,248 42 » » 450 »

Affaires étrangères 1,394,305 26 1,359,317 76 34,987 50 » »

Instruction publique 2,208,686 82 2,185,079 03 23,607 79 » »

Intérieur 7,614,180 67 8,885,460 48 » » 1,271,279 81

Travaux publics 17,252,574 66 18394557 03 » » 1,141,982 37

Guerre 35 155 020 05 36 858 941 99 » » 1,703,921 94

Marine 8,499,168 68 7,473,764 04 1,025,406 64 » »


157,574,252 23 159,637,314 69 2,054,571 66 4,117,634 12


Diminution
2,063,062 46

Le ministère de l’intérieur est le seul dont le budget soit pour 1859 au dessous de celui qui avait été adopté pour 1858. Il y a cependant des augmentations assez nombreuses dans divers chapitres du budget de ce département; mais ces augmentations, qui s'élèvent à 35,190 1., sont abondamment compensées par différentes réductions obtenues sur d’autres services, car la somme de ces dernières s’élève à 198,079 1. La réduction la plus considérable est celle de 178,102 1. 56 c. pour les dépenses des établissements pénitentiaires, attendu l'abandon temporaire du projet d’établissement d’une prison centrale à Chivasso et la diminution des sommes présumées nécessaires pour les manufactures.

Au contraire, dans les autres ministères, si l’on constate en quelques parties des diminutions pour les dépenses ordinaires, les augmentations l’emportent cependant, et le chiffre total desdites augmentations pour tous les départements, excepté celui de l’intérieur, est de 1,821,255 1. 55 c.; mais il convient de remarquer que quelques-unes se rapportent à des dépenses d’ordre ou productives qui trouvent une compensation égale ou plus grande dans le budget actif.

Parmi les principales causes d’augmentation pour le budget du ministère des finances, il faut compter la nécessité reconnue depuis 1856 d’augmenter le nombre des employés supérieurs de ce département et de diminuer celui des employés subalternes, à cause de la quantité d’affaires graves qu’il est impossible de confier à ces derniers. En 1858, le gouvernement avait demandé pour cet objet une allocation de 15,000 1. Sa demande fut repoussée par les chambres, qui craignaient de voir les autres administrations élever des prétentions analogues. En restreignant pour 1859511,5001. l’allocation réclamée, le ministre des finances s’est flatté que les chambres, prenant en considération les circonstances spéciales qui militent en faveur de son administration, ne lui refuseraient pas l'autorisation d’une dépense dont la nécessité lui parait évidente.

Les augmentations pour le ministère des affaires étrangères proviennent de la convenance qu’il y a d’augmenter les indemnités de résidence pour les secrétaires de légation et de payer les dépenses de diverse nature auxquelles a donné lieu l’hôpital de Constantinople établi au temps de la guerre de Crimée. Le ministère de l'instruction publique fonde ses demandes sur la loi qui a créé trois chaires nouvelles à l’université de Turin (philosophie de l’histoire, littérature française, géographie et statistique), chaires au traitement desquelles il faut pourvoir, et sur l’urgence de diverses réparations aux édifices universitaires de Turin, sans parler d’un certain nombre de professeurs auxquels il faut payer leur traitement de disponibilité.

Le ministère des travaux publics porte au budget une augmentation de 395,129 1. 22 c., qui se réduit en réalité à 245,129 1. 22 c., parce qu’on comprend pour la première fois dans ce budget 150,000 1. pour le remboursement de la moitié du produit du chemin de fer d’Asti, remboursement qui n’est qu’une simple dépense d’ordre. Le ministre demande 98,000 1. de plus que l’année précédente pour les routes nationales, à cause du grand nombre de travaux de ce genre qu’il est urgent de faire dans file de Sardaigne, 50,000 1. pour les ports et les plages, 103,000 1. pour les postes, afin d’étendre au plus grand nombre de provinces possible le bénéfice du service( )rural. Les augmentations réclamées pour les deux ministères de la guerre et de la marine (2,451,177 1. 06 c. pour le premier, 302,004 1. 64 c. pour le second) s’expliquent par la nécessité de pourvoir à l’instruction des troupes, à l’organisation du bataillon des fils de militaires, créé par la loi du 19 juillet 1857, à l’achat de bois et de matériaux pour les magasins de la marine et à l’amélioration des différens services maritimes.

Quant aux dépenses extraordinaires, les trois départements des travaux publics, de la guerre et de la marine sont ceux pour lesquels le cabinet reclame les augmentations les plus considérables: 600,000 1. pour les routes de l’ìle de Sardaigne, 523,000 1. pour la part de l’état dans la construction de diverses voies ferrées ou autres, 220,000 1. pour creuser des ports, 400,000 1. pour prolonger le môle nouveau du port de Gènes, 170,000 1. pour le monument de Charles-Albert, 3,599,300 1. pour les chemins de fer, et notamment 3,500,000 1. pour la part de dépense autorisée à la chargé du budget de 1859 pour le percement des Alpes. Au ministère de la guerre, 2,046,3671. seront employées à des acquisitions pour l’artillerie, à la construction de diverses fortifications ou poudrières, etc. Au ministère de la marine, sur 3,566,000 1. d’augmentation au chapitre des dépenses extraordinaires, il faut compter 2,500,000 1. pour le transfert de la marine militaire dans le golfe de la Spezzia, et 1 million pour la construction de deux frégates à vapeur.

L’augmentation prévue dans les recettes ordinaires porte spécialement sur les revenus des tabacs, poudres, plombs, contributions foncières, taxe des patentes, revenus domaniaux, etc., et s’élève à la somme de 2,455,0541. 86 c., qu’il faut réduire 4 781,1781. 96 c., par suite d’une diminution également prévue sur les sels, la taxe des voitures, les droits d’hypothèque, de succession, le papier timbré, la taxe de la main-morte, les amendes et peines pécuniaires, etc. La seule recette extraordinaire comprise dans le budget de 1859 est celle de 200,026 L, 20 c., provenant du remboursement de quotes-parts de divers corps moraux pour dépenses appliquées aux routes nationales.

Voici maintenant quelle est, en somme, la situation financière des états sardes. Les trois exercices 1856, 1857, 1858, ont grevé le pays d’un déficit de 33,027,1511. 05 c., imputable surtout aux deux derniers, par suite des nombreuses et considérables dépenses d’utilité publique qui ont été votées. Les chambres avaient autorisé l’émission de bons du trésor jusqu’à concurrence de 30 millions pour chacun des deux exercices 1856 et 1857, afin de faire face par anticipation au déficit; mais comme aux 33,027,151 1. 05 c., déjà prévus pour la fin de l’exercice 1858, il faut ajouter la prévision d’un déficit de 6,263,487 1. 62 c., ce qui porte le déficit total, pour les quatre derniers exercices dont le budget est établi, à une somme de 39,290,638 1. 67 c., le gouvernement s’est vu dans la nécessité de demander, par une loi spéciale, la faculté de contracter un emprunt de 40 millions, moyennant lequel, et en s’aidant des 22 millions de bons du trésor disponibles, il espère faire face à toutes les dépenses votées et proposées dès à présent jusqu’à la fin de l'exercice 1859. Il croit que les grands travaux votés et en cours d’exécution: fortifications de Casal, d’Alexandrie, arsenal maritime de la Spezzia, routes de Sardaigne (plus de mille kilomètres en peu d’années), percement du Mont-Cenis, etc., indemniseront largement le pays en honneur, en force, et même en argent, des sacrifices qu’il aura faits. Toutefois ce serait manquer à la sagesse qui doit présider à l’administration des affaires publiques que de charger à l’excès le présent en vue d’une grande prospérité pour un avenir plus ou moins éloigné. En conséquence, M. de Cavour et ses collègues se déclarent résolus à s’abstenir de nouvelles entreprises dispendieuses qui ne seraient pas reconnues d’une incontestable nécessité, ou ne produiraient pas un bénéfice équivalent et immédiat pour le trésor, jusqu’à ce que les finances sardes, enrichies par les produits que les grandes œuvres d’utilité publique, entreprises ou achevées, donneront vraisemblablement plus tard, permettent d'alléger ou de modifier quelques-uns des impôts les plus lourds ou les moins conformes à l’esprit de notre temps et à l’état de la civilisation. La discussion du budget des divers ministères qui a eu lieu à la chambre des députés dans les derniers temps de la session a déterminé le parlement à réduire les dépenses et aussi les prévisions de recettes. Le budget des recettes a été arrêté à la somme de 141,236,210 1. 14 c., et le budget des dépenses à 150,314,970 1. 54 c., ce qui fait un déficit prévu de 9,078,760 1. 40 c.

Le budget des dépenses pour chaque ministère se trouve donc fixé ainsi qu’il suit pour l’exercice 1859:


DÉPENSES TOTAL

ORDINAIRES EXTRA ORDINAIRES

l c. l c. l c.
Finances 78,772,223 29 19,530 » 78,791,753 29
Gràce et justice 5,282,828 42 2,820 » 5,285,648 42
Affaires étrangères 1,366,605 26 5,700 » 1,372,305 26
Instmction publique 2,255,482 02 13,944 80 2,269,426 82
Intérieur 7,063,795 67 124,040 » 7,187,83 i 67
Travaux publics 12,038,525 67 2,520,286 68 14,558,822 35
Gaerre 33,041,653 05 1,808,367 » 34,850,020 05
Marine 4,933,168 68 1,066,000 » 5,999,168 68

144,754,282 06 5,560,688 48 150,314,970 54

CAISSE ECCLÉSIASTIQUE. — Cette caisse, fondée par suite de la loi du 29 mai 1855 sur les couvents, n’a pu être instituée et ne peut fonctionner qu’en luttant contre les difficultés qui, dans la pratique, se présentent de toutes parts. Il a fallu soutenir des controverses, intenter des procès, créer une organisation rationnelle, etc.

Les ordres religieux d’hommes qui possèdent sur le territoire continental du royaume, et qu’a frappés la loi, sont au nombre de 14, et ont 66 maisons, qui comptaient, quand l’état en a pris possession, 781 religieux, dont 557 prêtres, 215 laïques, 9 novices et domestiques. Le revenu brut de ces 66 maisons s’élève à 668,685 1. 63 c. Dans ce chiffre se trouvent comprises 377,576 l. 73 c., produit de 4,932 hectares de biens ruraux, dont le revenu moyen était de 77 l. par hectare. Les charges annuelles montant à 216,640 l. 42 c., le produit net restait de 452,045 l. 21 c.

Il n’y a que 11 ordres de femmes frappés par la loi, soit 46 maisons et 1,085 personnes, dont 814 admises au chœur, 265 converses, 6 novices ou servantes. Le produit brut est de 514,609 l. 76 c., les charges d’environ 145,000 1., et par conséquent le produit net de 389,156 l. 25 c.

Dans File de Sardaigne, on comptait 40 familles religieuses ayant des propriétés et composées de 488 individus. Quoique les revenus de ces connnunautés fussent peu considérables, cependant, comme les membres en étaient peu nombreux, elles avaient un revenu moyen de 5,299 l. par an, soit 430 l. par individu.

Les ordres mendians se composent dans les provinces de terre ferme de 2,306 religieux, répartis entre 136 maisons, et dans File de Sardaigne de 829, répartis entre 47 maisons.

Quant aux collégiales et aux bénéfices frappés par la loi, les opérations n’ont pu s'accomplir avec toute la célérité désirable; cependant l’administration a présenté un aperçu sommaire de la condition économique de tous les corps et êtres moraux atteints:

Autres établissements

302,826 91

Biens ruraux

1,041,391 13

Capitaux

290,505 32

Rentes diverses

476,947 77

Produit brut

2,126,643 l. 42 c.

Passif

655,908 59

Produit net

1,470,734 l, 83 c.

L'administration de la caisse ecclésiastique devait s’attacher avant tout à co que les terres fussent de plus de rapport et sortissent de cet état d'immobilité, aussi nuisible aux intérêts du propriétaire qu’à ceux de l’agriculteur. Grâce à ses soins, les revenus se sont accrus de 79,371 1. 88 c., correspondant à un capital de 1,587,Z|37 1. 60 c., par un simple changement du mode d’exploitation. La vente des propriétés n’a pas fourni de moindres avantages. La caisse ecclésiastique a aliéné 1,601 hectares de biens ruraux, lesquels rapportaient antérieurement 111,286 1., et produisent aujourd’hui 181,688 1., en plaçant le capital à intérêt, soit une augmentation de revenu de 70,402 1.

Cependant, quoique l’augmentation totale du revenu soit de 149,773 1., elle ne suffit pas encore pour mettre la caisse ecclésiastique dans une situation prospère. Le budget de 1857 présentait les résultats suivans:

Actif ordinaire

2,508,9601. 85 c

Passif ordinaire

3,267,508 35 c

Déficit

758,5471. 50 c

Ce déficit se trouve réduit à 748,5471. 50 c., lorsqu’on réunit les recettes et les dépenses ordinaires avec les recettes et les dépenses extraordinaires; mais, tel qu’il est, il justifie la demande adressée au parlement et approuvée d’un prêt de 751,000 1. à faire par le trésor publie à la caisse pour subsides au clergé de Sardaigne. Il n’est pas probable que ce budget spécial revienne de si tôt à l’équilibre. Les modifications récemment introduites dans la loi ont augmenté considérablement les charges. Les seules pensions en faveur des membres des familles religieuses frappées par la loi étaient portées au budget de 1857 pour 723,726 1. Cette somme diminuera d'année en année, mais lentement, et elle ne disparaîtra tout à fait du budget, selon le calcul des probabilités et malgré l’augmentation des revenus de la caisse, que dans cinquante ou soixante ans.

Pour l’exercice 1858, le budget actif de la caisse est évalué à 8,379,205 I. 07 c., dont 2,564,770 1. 12 c. pour les recettes ordinaires, et 5,814,4341. 95 c. pour les recettes extraordinaires. Le passif est évalué à 9,054,657 1. 99 c., dont 3,252,723 1. 04 c. pour les dépenses ordinaires, et 5,801,934 1. 95 c. pour les dépenses extraordinaires. C’est donc un déficit de 675,452 1. 92 c. qui pourrait même devenir plus considérable, puisqu’on a fait entrer au compte des recettes des sommes qui n’y figureront effectivement que dans le cas où les procès dont elles dépendent seraient gagnés par la caisse. C’est pour couvrir ce déficit qu’a été proposé un emprunt de 751,409 1.

Les procès que la caisse a eu à soutenir s’élevaient déjà au commencement de 1858 au nombre de 506, sur lesquels 276 étaient terminés, 162 en faveur de la caisse, et 114 contre elle.

CAISSES D’ÉPARGNE. — Il y a dans les états sardes 26 caisses d’épargne ouvertes au publie. On n’y accepte aucun dépôt de moins de 1 lira; quand la somme déposée en plusieurs fois atteint le chiffre de 2,000 1., elle cesse de porter intérêt. L’intérêt se paie à raison de 4 pour 100 Fan. Un individu ne peut avoir plus d’un livret. Les restitutions de capital se font immédiatement, pourvu que la somme réclamée n’excède pas 40 1.

La seule caisse d’épargne de Turin avait, au 1(er) janvier 1855, 3,618 livrets, auxquels il faut ajouter 1,080 nouveaux livrets donnés dans le courant de la mème année; 712 seulement ont été retirés: il en restait donc, le 31 décembre, 3,986 aux mains du publie.

Le crédit pour le capital et les intérêts capitalisés était au l(er) janvier 1856 de 1,435,483 1. 36 c.

MARINE MARCHANDE. — Le 31 décembre 1855, la marine marchande comptait, dans les états sardes, 2,962 navires, jaugeant ensemble 184,800 tonneaux et montés par 31,987 marins. Le 31 décembre 1856, les navires n'é

taient plus qu’au nombre de 2,934, mais le jaugeage était de 197,924 tonn. et le nombre des marins de 33,370. Cette diminution d’un còté, cette augmentation de l’autre, ne sont point un accident: elles semblent se reproduire tous les ans. Ainsi en 1853 le royaume comptait 3,222 navires, et en 1854 3,174. Le jaugeage était, en 1853, de 168,585 tonn., le nombre des marins de 28,746; il a toujours été depuis en progression ascendante. Il est clair qu’il y a chez les constructeurs et les armateurs une tendance marquée à augmenter les dimensions et le tonnage des navires pour étendre les affaires et diminuer les frais.

De 1855 à 1856, le développement des constructions maritimes est très remarquable en ce sens. Ainsi, dans la première de ces deux années, il avait été construit un nombre de navires jaugeant ensemble 9,116 tonneaux; dans la seconde, le chiffre des constructions s’élève à 15,050 tonneaux.

Les villes qui fournissent le plus de marins à la marine marchande sont, avec les chiffres de leur contingent, au 31 décembre 1854: Gènes, 11,398; Savone, 4,384; Chiavari, 5,936; Oneglia, 1,619; Nice, 1,405; Spezzia, 4,011; Cagliari, 1,529.

Pour avoir une idée du mouvement des arrivages dans les différens ports des états sardes, il suffit de rapprocher les chiffres des années qui se sont écoulées entre 1850 et 1854.


Provenance nationale Provenance étrangère


Navires Tonneaux Navires Tonneaux
1850 5,782 278,113 1,603 205,752
1851 5,937 301,463 2,175 231,528
1852 5,886 332,792 1,830 239,755
1853 4,681 307,626 2,552 467,905
1854 5,544 349,918 2,347 301,598

Pour les navires de provenance étrangère, et pour le seul port de Génes, c’est la Toscane qui est au premier rang; viennent ensuite la France, l’Angleterre, l’Espagne, les Deux-Siciles, l’Autriche, la Suède et la Norvège, le duché de Modène, la Hollande, l’Amérique, les États-Romains et la Grèce. Les autres états ne contribuent à ce mouvement que pour un nombre de navires insignifiant.

Si la Toscane vient en première ligne, ce n’est pas évidemment à cause de l’importance de sa marine, mais à cause de la proximité de ses ports et de ceux des états sardes. Il en est de mème pour les rapports commerciaux des états sardes et de la France. Les navires sardes entrés dans le port de Marseille et sortis de ce mème port sont, par leur nombre, par celui des marins qui les montent, par leur tonnage enfin, supérieurs à ceux de toutes les autres nations. L’Angleterre mème ne vient qu’en troisième ligne, après l’Espagne, et s’il y avait plus de mouvement dans le royaume des Deux-Siciles, elle n'occuperait que le quatrième rang.

Il manque aux états sardes une institution maritime capable de favoriser l’exportation des produits du pays. Une compagnie transatlantique s'était organisée à Génes: diverses causes en ont amene la dissolution. Le gouvernement piémontais ferait une œuvre utile à tous en provoquant et aidant la constitution d’une nouvelle compagnie, d’un? sorte de Lloyd italien.

COMMERCE DE LA SOIE. — La production de la soie est la principale branche de commerce dans les états sardes. On en peut apprécier l’importance par les chiffres suivans, qui indiquent le nombre des cocons apportés sur les marchés et les prix auxquels ils se sont élevés depuis 1853:

1853 226,061 myriagr. 9,718,000 lire
1854 310,986 13,635,700
1855 403,686 18,078,532
1856 320,522 21,549,408
1857 220,885 20,833,386

Cet accroissement Constant des prix depuis six ans est un fait qui mérite la plus sérieuse attention. Pour beaucoup de filateurs, le prix moyen des cocons entrés à la filature a été cette année de 100 fr. à 101 fr. 50 cent. La soie coûte de 132 à 134 fr. la belle qualité. Il y a donc un écart sensible entre le prix courant et le prix d’achat; mais les prix s’établissent plutôt sur les soies qui restent dans les dépôts que sur les nouvelles; or il restait encore dans les dépôts le tiers de la récolte de l’année dernière. Il est donc probable qu’il y aura une augmentation dans les prix.

Il existe à Turin, de fondation assez récente, un établissement analogue A celui qui est connu à Lyon sous le nom de bureau de la condition des soies. Voici, de 1851 à 1856, les chiffres indiquant les quantités de soie présentées à ce bureau, le poids et les taxes payées conformément aux tarifs:


Colis Poids
Taxes payées
1851 4,133 266,440 02 34,687 l. 52 c.
1852 6,098 £02,886 86 52,092 92
1853 7,301 499,066 35 63,551 94
1854 6,943 465,558 24 59,933 12
1855 8,615 570,573 08 73,849 43
1856 8,273 551,629 96 71,076 45

Il est fâcheux de dire que le commerce de la soie traverse dans les états sardes une période de décadence. Les causes <le cette décadence sont, les unes permanentes, les autres transitoires. Ces dernières sont les crises annonaires qui forcent les familles à restreindre les dépenses de luxe; les crises commerciales, qui produisent le même effet et en outre restreignent le crédit; les guerres, qui nécessitent l’emploi improductif de sommes énormes, font élever partout l’intérêt de l’argent, et amènent la défiance et l’incertitude de l’avenir; enfin le haut prix de la soie, qui a forcé les gens de condition médiocre à se vêtir d’étoffes de qualité inférieure: une robe de soie qui valait 100 francs il y a six ans en colite 200 et plus aujourd’hui.

Ces causes passagères disparaîtront sans doute, car la spéculation peut bien élever les prix, mais elle est impuissante à les maintenir. Restent les causes permanentes, qui ont plus de gravité. L’industrie des tissus de soie languit dans les états sardes, parce que les capitaux qu’on y consacre sont trop restreints, et parce que le crédit manque aux fabricans. Il faut ajouter la désunion qui règne entre ces derniers, en ce sens qu’ils devraient s’entendre pour se partager le travail, faire l’un les rubans, un autre les velours, celui-ci les brochés, celui-là les unis, afin de se faire une concurrence moies ruineuse. On peut en dire autant des teinturiers que des tisseurs. Comment prépareraient-ils bien les couleurs, s’ils en ont à préparer cinq ou six, et cela pour des quantités de soie minimes? Le noir seul aujourd’hui peut rivaliser avec les teintures de l’étranger, par cette unique raison qu'ayant plus de travail dans*cette couleur, les ouvriers la peuvent mieux préparer.

Avoir signalé les causes de la décadence, c’est en avoir indiqué les remèdes. Nous ajouterons encore qu’il faudrait donner aux ouvriers une instruction théorique et pratique plus complète et plus satisfaisante, dont on pourrait trouver le modèle dans ces excellens cours de l’école Lamartinière à Lyon, et inspirer aux industriels plus de courage, plus d’habileté pour faire connaître leurs produits. Avec quelques efforts, on pourrait donner un bien plus grand essor à cette industrie dans un pays assez heureux pour fournir la matière première, avoir d’excellents ouvriers, pouvoir, comme pays agricole, introduire le travail de la soie dans les campagnes, ainsi que cela s'est fait en Suisse, et disposer de marchés et de moyens de transport qui laissent peu à désirer.

SERVICE CONSULAIRE. — L’impossibilité où se trouve le royaume de Sardaigne d’envoyer des consuls payés dans toutes les contrées où les navires de sa marine marchande ont besoin de protection avait forcé le gouvernement de distinguer le personnel des consuls en deux catégories, l’une d’agens sujets royaux et payés, l’autre d’agens pris sur les lieux et auxquels il était permis d’exercer le commerce. Le règlement de 1835 consacra cette ancienne coutume. A la première catégorie appartiennent les officiers et les offices consulaires en Afrique et dans le Levant, à la seconde ceux qui sont établis dans tous les autres pays; mais en réalité il y a trois classes de consuls: 1° ceux qui gèrent les consulats de première catégorie; 2° un certain nombre de consuls de la seconde catégorie, qui touchent annuellement une somme fixe; 3° ceux qui n’ont d’autres émoluments qu’une partie des produits du consulat.

Le gouvernement propose de n’établir que deux ordres de consuls. Les consuls de première classe seraient désormais envoyés dans les localités qui par leur importance politique ou commerciale réclament un travail et des soins constans de la part de fonctionnaires capables de remplir, à la satisfaction du pays, les fonctions diverses et souvent difficiles de leur emploi. Vingt-quatre consuls et vingt vice-consuls recevraient un traitement régulier. Les principales villes qui sont considérées comme réclamant la présence de consuls payés sont: Buenos-Ayres, Rio-Janeiro, New-York, Montevideo, Toulon, Barcelone, Gibraltar. Peut-étre ces choix ne sont-ils pas tous très heureux, attendu que si New-York, Buenos-Ayres, Rio-Janeiro par exemple, font avec les états sardes un commerce considérable, la présence dans ces capitales d’agens qui portent le titre de consuls-généraux, et qui sont de véritables chargés d’affaires, permettrait, ce semble, de se contenter d’agens consulaires de seconde classe, placés immédiatement sous leurs ordres. Au contraire il serait peut-être convenable de ne pas rayer Milan de la liste des consulats de premier ordre, puisque le ministre sarde près la cour d’Autriche réside à Vienne, quand les relations diplomatiques ne sont pas interrompues.

Avec l’ancien système, le personnel des consulats coûte à l’état 357,900 fr.: le nouveau causerait un excédant de dépense de 94,100 fr., soit 452,000 fr.; mais l’établissement de nouveaux tarifs réduirait cette perte à 9,510 francs, somme insignifiante au prix des avantages qui résulteraient d’une organisation plus rationnelle. Quant à l’opinion de ceux qui demandent que la marine marchande supporte les frais qu’occasionnent les consulats, fondée en principe, elle est inadmissible dans la pratique. Ce qui importe le plus, c’est de mettre le commerce maritime en état de lutter contre celui des autres nations, et fon n’y peut parvenir qu’en abaissant le prix du fret, ce qui serait impossible si fon grevait la marine sarde de taxes auxquelles le commerce des autres états n’est point assujetti.

INSTRUCTION PUBLIQUE. — L’instruction primaire a pris, durant ces dernières années, un sensible développement. Le nombre total des écoles de gar^ons, qui était à la fin de 1853 de 5,338, s’élevait, à la fin de 1856, à 5,922; au lieu de 2,208 écoles de filles, il y en avait à la mème époque 2,901. Il n’y a plus désormais que 145 communes qui manquent d’écoles primaires pour les garçons, dont 57 dans File de Sardaigne, 40 en Savoie, 21 sur la Rivière de Gènes (Ligurie et pays de Nice), 27 dans les autres provinces. Ces dernières communes manquent en général de population et de ressources pour payer des maîtres. Celles qui manquent encore d’écoles pour les filles sont malheureusement au nombre de 1,151, dont 114 en Savoie, 322 dans File de Sardaigne, 251 dans la province de Gènes et de Nice, 464 dans le reste du royaume. De ce còté cependant il y a aussi progrès, puisque de 1853 à 1856 plus de 400 communes se sont donné des écoles pour les filles.

Le nombre moyen des élèves des deux sexes qui ont fréquenté ces écoles était en 1853 de 259,000. Or il n’y a pas dans le royaume moins de 700,000 enfans en âge de recevoir l’instruction. Quand mème on défalquerait ceux qui la reçoivent dans leurs familles et dans les établissements de bienfaisance, il n’en resterait pas moins Constant que les trois septièmes des enfans sont encore privés de l’instruction la plus élémentaire.

Pour la propager davantage, il faudrait de bons maîtres, et c’est à quoi le gouvernement a voulu pourvoir par la loi présentée aux chambres pour la création d’un certain nombre d’écoles normales. Jusqu’à présent il n’y avait que des écoles magistrales, qu’on établissait, suivant l’urgence et les besoins, dans telle ou telle province, et dont les cours duraient à peine quelques mois, à la suite desquels avaient lieu les examens. On obtenait ainsi un assez grand nombre de maîtres: de 1845 à 1853, il en avait été reçu 6,090; de 1853 à 1856, ce nombre s’est accru de 2,510. Néanmoins en 1856 le gouvernement était obligé de tolérer 1,523 maîtres et 822 maîtresses sans diplômes réguliers. Ce fait regrettable provient de ce qu’un certain nombre d'entre les plus capables se retirent de l’enseignement, où ils ne trouvent pas les moyens de vivre, pour se livrer à des occupations plus lucratives.

En effet, si le traitement moyen de ces fonctionnaires est à la rigueur suffisant dans les principales villes et aux environs, il est dérisoire ailleurs, et surtout dans les communes rurales un peu éloignées des grands centres de population. Dans la province de Turin, les maîtres touchent en moyenne 628 fr. et les maîtresses 841, dans celle d’Alexandrie 684 et 580, dans celle de Verceil 642 et 538, dans celle de Gènes 470 et 449; mais si l’on prend cette moyenne sur tout le royaume, elle était en 1853 de 396 fr. 90 c., et en 1856 de 396 fr. Qu’on juge quelle doit être la part des maîtres appelés à donner l’enseignement dans les plus humbles communes. La moyenne devrait être élevée au moins à 500 fr. pour qu’on pût espérer qu'une jeunesse studieuse se consacrât à cette rude mission.

Le gouvernement ne néglige point du reste les autres degrés de l’enseignement. Dans la dernière session de la précédente législature, le ministre Lanza demandait un subside pour encourager l’enseignement technique ou professionnel, qui a obtenu beaucoup de succès en Piémont, grâce à l’esprit positif et peu porté vers les études désintéressées de la plupart des habitans de ce pays. De son coté, le ministre de la guerre La Marmora réorganisait le collège de Racconigi et l’Académie militaire, établissements qui sont les équivalents, dans les états sardes, de notre collège de La Fléche et de notre école de Saint-Cyr.

MOUVEMENT LITTÉRAIRE. — Le théâtre, le roman, l’histoire, la poésie, continuent de fournir à la population des états sardes de nombreux sujets d'étude, mais les succès sont rares. Au théâtre, on cite particulièrement le Parini et la Satire, comédie en cinq actes de M. Paul Ferrari, de Modène, déjà connu par une comédie distinguée, Goldoni et ses Seize Comédies. De nombreux applaudissemens ont accueilli cette œuvre nouvelle; malheureusement l’absence d’un public d’acheteurs et de lecteurs sur lequel on puisse compter ne permet pas d'espérer que le Parini soit de quelque temps encore livré à l’impression. Il en est de mème de la Cameriera astuta (la Soubrette rusèe), de M. Castelvecchio, pseudonyme sous lequel se cache un jeune littérateur, M. Pullè. Cette comédie, très inférieure à colles de M. Ferrari, a cependant obtenu un succès que nous sommes obligés, de ce côté des Alpes, d’accepter sur parole, faute de pouvoir, à la lecture, en contrôler la valeur. Nous ne dirons rien, et pour cause, des tragédies qui de temps à autre continuent de paraître à l’horizon.

Un auteur dont le nom fait passer les ouvrages malgré de nombreux défauts, c’est M. Guerrazzi, l’ex-dictateur de l’éphémère république toscane. M. Guerrazzi a publié cette année Fides, œuvre de fantaisie; la Torre di Nonza, récit historique; les Mèmoires d’un Ane, dont nous n’oserions pas dire que ce sont ceux de l'auteur, s’il ne l’avait dit lui-même, et qui sont intéressans par des révélations et des portraits. Quelques livraisons ont été saisies par ordre du parquet piémontais. M. Giordana, de la même école, a publié un roman, les Ruines de Rutulie, qui autorise les espérances, si l’auteur parvient à donner plus de naturel à son style et à s’affranchir de la phraséologie emphatique dont il cherche le modèle chez le célèbre romancier livournais. M(me) Vegezzi-Ruscalla a fait paraître un volume intitulé Nonrelles et Récits. M. Brofferio, député de Turin, poursuit la publication de ses Mèmoires, qui se distinguent par l’entrain, la vivacité, la liberté du récit. M. Revere, l’un des meilleurs écrivains de l’Italie contemporaine, a mis au jour deux volumes d’impressions de voyage: Bozzetti alpini (Croquis des Alpes), Marine et paesi (Rivages et campagnes), remarquables par une certaine délicatesse de sentiment et un grand mérite de style.

Les ouvrages historiques proprement dits n'ont pas été fort nombreux ni fort importans cette année en Piémont. M. Mandelli a publié une savante monographie sur la commune de Verceil au moyen âge. Nous devons à M. Louis Chiala Une Page d’Histoire contemporaine, ou récit de quelques pages de la vie constitutionnelle du Piémont, travail qui a été très diversement apprécié, mais dont on ne peut contester la sincérité, et qui se distingue par une lucide exposition des faits. M. Aquarone a commencé la publication d’une histoire de Jérùme Savonarole. Un jeune écrivain, M. Rocca, a traduit la Consolation de la Philosophie de Bocce.

Dans le domaine de la poésie lyrique, il ne s’est produit aucun ouvrage digne de mention, mais seulement des pièces éparses dans divers recueils. Ce-si ainsi que la rareté des lecteurs et aussi peut-être la pauvreté de l'inspiration forcent les poètes de procéder en Piémont. On publie le premier chant d’un poème, sauf à l’achever plus tard, si rien ne vient vous en détourner. Ainsi fait M. Bellini (Il Parlamento, poème). M. Jean Prati, le chantre célèbre de Charles-Albert, M. Louis Prati de Novare, M. l’abbé Chinila, M. Balegno, M. Carbone, M. Solari, M. Saluzzo, et bien d’autres ont apporté chacun une pierre à un édifice qui ne sera peut-être jamais élevé. Une œuvre plus importante a été entreprise par M. Constantin Nigra, qui publie avec un grand luxe de variantes, de traductions et de commentaires les chansons populaires du Piémont.

La situation générale du Piémont n’est guère moins favorable cette année que l’année dernière. Les charges du pays ne paraissent considérables qu’à cause des grands travaux entrepris. Rien de plus facile que d’avoir un budget en équilibre quand on ne cherche point à développer les élémens de prospérité et de progrès qu’on a sous la maio. A l’extérieur, le vote de la loi d’exception a assuré aux états sardes l’amitié de la France et sa protection dans toutes les difficultés que les rapports du gouvernement avec l’Autriche permettent de prévoir. C’est à l’intérieur que sont aujourd’hui les plus graves embarras, et en prenant le portefeuille de l’intérieur, M. de Cavour a bien montré qu’il comprenait ce qui devait attirer spécialement son attention. Porter remède aux maux causés par les inondations et par les rigueurs de la politique, poursuivre le triomphe des lois et assurer l’indépendance du pouvoir civil contre la résistance du clergé, reformer au sein du parlement une majorité compacte, assurée, afin de ne plus gouverner tantôt avec l’appui de la droite, tantôt avec l’appui de la gauche, telle est la tacite difficile proposée à ses efforts. Le passé permet d’espérer qu’il n’y faillira pas.

ÉTATS EUROPÉENS - LES DEUX-SICILES

VI ROYAUME DES DEUX-SICILES

Monarchie absolue. — Ferdinand II, roi des Deux-Siciles (5)

I — Histoire Politique

Tentatives de rapprochement avec l’Angleterre. — Décrets rendus pour l’organisation et les privilèges de l’église napolitaine. — Mécontentement à Rome. — Crise commerciale. — Complot et affaire do Cagliari (25 juin 1857). — Descente à l’île de Ponza. — Combats de Padula et de Sanza. — Défaite, captivité et mort des insurgés. — Rigueurs de la répression. — Affaire du Météore. — Administration intérieure. — Tremblements de terre. — Procès du complot de Sapri (29 janvier 1858). — Plaintes et explications des accusés. — Mise en liberté des mécaniciens anglais. — Nouvelles difficultés avec l’Angleterre et avec le Piémont. — Préparatifs militaires.

La rupture des relations diplomatiques entre le royaume des Deux-Siciles et les deux grandes puissances occidentales pouvait avoir de si graves conséquences pour le repos et la sécurité de l’Europe, qu’il ne faut pas s’étonner si des tentatives furent faites à plusieurs reprises pour sortir de cette situation irrégulière. L’insuccès de ces tentatives tient sans doute à ce que les cabinets contendans ont voulu régler directement leurs affaires, au lieu de recourir à l’arbitrage d’une tierce puissance. Au mois de mars 1857, M. de Bunsdorff, chargé d’affaires de Prusse à Londres, négociait cependant avec lord Clarendon une reprise des relations entre l'Angleterre et Naples; mais il n’avait qu’une mission officieuse, et le cabinet britannique se réservait le droit de juger souverainement si les satisfactions offertes étaient suffisantes. Lord Clarendon demandai communication du décret concernant l’envoi des détenus politiques napolitains sur le territoire de la république argentine, et exigeait que tous ceux qui voudraient profiter du bénéfice de ce décret y fussent dûment autorisés. Le gouvernement napolitani consentit sans trop de difficultés à cette doublé concession; cependant une dépêche de M. de Bunsdorff, à la date du 4 avril de la mème année, nous apprend que lord Clarendon venait de rompre toutes les négociations en se fondant: 1° sur les arrestations opérées dans le royaume de Naples, 2° sur l’espionnage érigé en système et pénétrant partout, 3° sur l’emploi, dans les prisons, de la fameuse coiffe du silence, A’ sur l’accusation mensongère, portée contre la frégate anglaise la Malacca, d’avoir vendu de la poudre dans la rade de Naples, 5° sur la publication de plusieurs opuscules contre l’Angleterre. Le gouvernement napolitain ne réfuta que fort incomplètement ces griefs: il se borna à répondre qu’il n’avait point recours à des rigueurs extraordinaires, que la coiffe du silence était une pure invention de ses ennemis, qu’enfin, s’il changeait de système, il aurait l’air de céder à une pression. Sur tous les autres points, il restait muet, et l’on dut, au moins pour un temps, renoncer à l’espoir de rapprocher les deux gouvernemens.

L’isolement où se trouvait le roi de Naples, car l’Autriche elle-mème, par suite du désir qu’elle manifestait de former avec l’Angleterre une étroite alliance, ne pouvait prendre ouvertement un parti sans nuire à ses intérêts ou froisser ses sympathies, faisait une obligation à ce prince de chercher quelque part un point d’appui. Il jugea avec une certaine sagacité qu’il le rencontrerait dans son peuple, et surtout dans cette partie la plus arriérée et la plus nombreuse de ses sujets qui obéissent aveuglément au clergé. Satisfaire le clergé était une nécessité de sa position. Or les évêques signalaient depuis longtemps avec amertume de graves et nombreuses lacunes dans le concordat de 1818. Dès 1849, ils avaient formé une conférence à laquelle avaient assisté les ministres des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique, et les vœux de cette assemblée avaient été communiqués au roi. Une plus stricte observation des jours fériés, la répression sévère des mauvaises mœurs, une meilleure police de l’imprimerie et des théâtres, les cérémonies du culte occupant plus de place dans la vie des prisons, des réformes relatives à l’administration des biens temporels de tout ce qui touche à l’église, enfin des modifications dans la manière de procéder en justice contre les prêtres, telles étaient les principales exigences du clergé. Si l’on songe que dans le royaume de Naples l’autorité ecclésiastique règne, qu’on n’y publie rien par la presse, qu’on n’y représente rien au théâtre qui n’ait été vu et revu par la censure, qu’on y chôme enfin presque le tiers de l’année, on aura peine à comprendre que les évêques ne fussent pas satisfaits. La cour de Rome appuyait leurs réclamations: elle voulait à Naples une seconde édition du concordat autrichien.

Le roi Ferdinand était décidé aux plus larges concessions; toutefois il répugnait à se lier les mains. Après beaucoup de négociations et de pourparlers, il prit le parti de donner sous la forme de décrets, c’est-à-dire sous une forme essentiellement révocable, ce qu’on voulait obtenir par un concordat, en d’autres termes par un contrat synallagmatique. Aussi, dès le premier jour, le clergé chercha-t-il à lier le roi en prétendant que les décrets, ayant été rendus comme complément et conséquence du concordat de 1818, avaient la mème valeur que ce concordat, et engageaient le gouvernement au mème degré. Sans s’arrêter à ces prétentions, qu’il sera toujours temps de contester, le roi signa huit décrets sur la matière, quatre le 18 mai 1857 et quatre le 27. Par les premiers, l’église est affranchie de la tutelle du pouvoir civil; elle obtient le droit de tenir des conciles et assemblées sans autorisation, à la seule condition d’indiquer l’époque où les unes et les autres auront lieu. Il est permis d’en publier les actes, sans révision ni placet. Voilà pour les libertés de l’église; quant à sa fortune, on y pourvoit en décidant que les églises, corporations, etc., ont le droit d’accepter les dons et les legs pieux, sans autorisation et sur une simple déclaration, d’ouvrir une action légale et d’ester en justice pour obtenir l’exécution de ces legs. Enfin, dans tous les actes judiciaires et financiers, l’approbation ecclésiastique est substituée à l’approbation laïque.

Les décrets du 27 mai avaient pour objet de fixer les termes de l’alliance étroite qui doit régner, dans un pays essentiellement catholique, entre l’église et l’état. Ils règlent le mode d’intervention du pouvoir civil pour faire exécuter les sentences ecclésiastiques dans le cas d’une résistance matérielle, sans que le ministère public ait le droit de les examiner sur tout autre point que celui de savoir si elles n’ouvrent pas matière à un conflit. Pour la vente et l’achat des biens ecclésiastiques, l’autorisation du pouvoir temporel est maintenue, mais postérieurement à celle du pouvoir spirituel. L’autorisation préalable pour l’impression des livres passe de la commission de l’instruction publique aux évêques. Ces prélats devront être entendus dans toutes les causes qui intéressent l’église; le huis-clos devra être ordonné pour tous les procès intentés à des ecclésiastiques, et, dans le cas d’une condamnation correctionnelle, l’évêque pourra demander au roi de la commuer en un internement dans un couvent. L’inspection des écoles publiques et privées estconfìée aux év s. Un séminaire pour les hautes études ecclésiastiques sera établi et entretenu aux frais de l’état, mais les évêques seuls auront le droit d’y envoyer des élèves.

Ces mesures, si favorables à l’église, ne pouvaient qu’exciter la reconnaissance du clergé. Ce sentiment se manifesta par une adresse de remerciements émanée du corps épiscopal. Plus exigeante ou plus indépendante, la cour de Rome était loin de témoigner la mème satisfaction. Ses organes officiels disaient bien haut que ce n’était pas le Saint-Siège, mais le royaume de Naples qui avait besoin d’un nouveau concordat et qui en profiterait. De là un certain refroidissement entre le pape Pie IX et le roi Ferdinand; on eut bientôt une preuve de ces dispositions médiocrement amicales: trois membres de la famille royale de Naples, les princes de Syracuse, Montémolin et Sébastien, s’étant embarqués au mois de juin à Manfredonia pour Trieste, ne prirent terre ni à Ancône, ni à Pesaro, ni à Rimini, et s’abstinrent d’aller rendre leurs hommages au pape, qui était pour lors à Bologne.

Ce départ passait au reste à Naples pour une preuve des dissentimens dont on croyait la famille royale divisée. A cette époque, la situation du royaume n'était point satisfaisante: tout le monde était inquiet; les marchands, par leurs frayeurs exagérées, causaient une crise commerciale semblable à celle de Paris et de Londres, et le gouvernement se croyait obligé, pour calmer ces appréhensions, de donner une certaine publicité à ses actes. Mais il était à la veille dune tentative insurrectionnelle qui devait, en lui créant des embarras d’une autre nature, rallier autour de lui cette partie de la population du royaume qui souffrait le plus de la crise et qui s’en montrait le plus mécontente. Le 25 juin 1857 partait de Gènes le navire du commerce le Cagliari, en destination de Tunis. A bord se trouvaient, outre un équipage de 32 hommes sous les ordres du capitaine Sitkzia, 33 passagers, dont 27 s’étaient embarqués avec le projet de porter la révolution sur les côtes de Naples. A la tète de ces derniers était Charles Pisacane, due de San-Giovanni, officier du génie au service de Naples, qu’il avait volontairement quitté en 1847 pour entrer en qualité de lieutenant dans la légion étrangère. sous le drapeau français. En 1848, il avait renoncé au brillant avenir que l’estime de ses chefs lui assurait pour servir de nouveau son pays devenu libre. Le triomphe de la réaction au 15 mai de cette même année lui avait fait des loisirs qu’il consacra à la défense de Rome; c’est du triumvir Mazzini qu’il reçut le grade de colonel. Depuis la restauration papale, il avait vécu dans une oisiveté forcée, dont il essayait de dissiper l’ennui en s’occupant de théories politiques et de projets de conspiration. Une fois en mer sur le Cagliari, il force le capitaine à se diriger sur l’île de Ponza, où sont détenus un grand nombre de prisonniers d’état; arrivés au mouillage, les insurgés font garder le navire par quelques-uns des leurs, et descendent à terre (27 juine, où ils débauchent quelques habitans et délivrent des prisonniers. Les nouveaux compagnons de leur entreprise qu’ils. ramenèrent à bord n’étaient pas moins de 323.

De Ponza, le capitaine fut encore forcé de mettre le cap sur Sapri, dans le golfe de Policastro. Pendant le trajet, les insurgés firent de graves réflexions. Reculaient-ils au dernier moment devant la responsabilité qu’ils assumaient, ou se crurent-ils trop peu nombreux, mème avec les recrues qu’ils avaient faites à Ponza? C’est ce qu’il est difficile de dire. Toujours est-il qu’ils demandèrent au capitaine de les reconduire en Sardaigne ou à Gènes. Le capitaine refusa. A son départ, il n’avait pris de charbon que pour la traversée de Gènes 4 Cagliari, comptant renouveler sa provision dans cette dernière ville: on l’avait empêché d’y faire escale, en le forçant de se diriger sur l’île de Ponza; il ne pouvait donc, en ce moment, faute de combustible, que courir au plus près, c’est-à-dire à Naples. C’est ainsi que Pisacane et ses compagnons furent forcés de poursuivre leur téméraire entreprise. Ils débarquèrent aux cris de vive l’Italie! vive fa république! et tachèrent d’entraîner les habitans de la côte comme ’ds avaient soulevé ceux de l’île. Ils ne trouvèrent que tiédeur ou du moins manque de confiance. Les uns les jugèrent trop peu nombreux pour avoir quelques chances de succès; les autres, crédules aux bruits habilement répandus par les agens du pouvoir et les regardant comme des forçats évadés qui venaient tout piller ou tuer, se cachèrent et n’attendirent que l’arrivée des gardes urbaines et des bataillons de chasseurs pour se jeter sur ces ennemis de la paix publique. Les insurgés eux-mêmes eurent la déception de ne point trouver au rendez-vous assigné les quelques milliers d’hommes qu’on leur avait promis. Attaqués par les gendarmes, ils comprirent la nécessité de se réfugier dans les montagnes, d’un abord plus difficile, et où ils pourraient mieux se défendre ou se cacher au besoin. Durant le trajet, ils payèrent scrupuleusement tout ce qu’ils étaient obligés de prendre pour leur subsistance, les accusations contraires qu’on a élevées contre eux sont dénuées de fondement; mème un des leurs, qui avait pris quelques carlins à une vieille femme, fut immédiatement jugé, condamné et fusillé. Un nouvel engagement eut lieu à Padula le 1(er) juillet, et un autre à Sanza le lendemain; dans la première de ces deux journées, les insurgés perdirent cinquante-trois des leurs, et vingt-sept dans la seconde. Pisacane, blessé, fut fait prisonnier ainsi que son principal lieutenant Nicotera; un autre de ses lieutenans, nommé Fuschini, se fit sauter la cervelle pour éviter le sort de la plupart des insurgés tombés aux mains des troupes royales, et que les gardes urbaines fusillaient, sans autre forme de procès. Il ne fallut rien moins qu’un ordre exprès venu de Gaéte pour faire cesser cette boucherie. Pisacane succomba bientôt à ses blessures; on a affirmé sans pouvoir le prouver qu’il avait été fusillé. Quelques-uns des insurgés parvinrent à regagner le navire, sur lequel ils furent pris un peu plus tard par les deux frégates le Tancredi et l’Ettore-Fieramosca. Quant à ceux qui tombèrent aux mains de leurs ennemis sur le champ de bataille et qui échappèrent à la mort, ils furent dépouillés de tout, comme cela résulte des déclarations de Nicotera devant la cour criminelle de Salerne.

Cette affaire, si audacieusement engagée et si pitoyablement finie, causa les plus grandes alarmes dans les régions officielles à Naples. Les proclamations royales, les articles officiels, les correspondances officieuses s’attachaient à prouver que le dévouement des habitans était inébranlable, et cependant d’incessantes arrestations, des rigueurs multipliées avaient lieu dans les provinces et surtout dans les Calabres, moins à cause des partisans que le colonel Pisacane y pouvait avoir que par crainte des intrigues du parti qui souhaite et prépare le retour de la famille Murat. En suspicion de ces intrigues, trois capitaines de navires marchands de la marine napolitaine furent arrêtés sous l’inculpation d’avoir porté à Marseille des correspondances politiques. Relâchés faute de preuves, ces officiers n’ont pu cependant obtenir d’être remis en possession de leurs commandemens. Le roi songea ensuite à récompenser ceux de ses soldats et de ses sujets qui avaient défendu sa cause avec dévouement. Des décorations, des pensions, des récompenses de tout genre furent accordées en grand nombre; 2,000 ducats devront être affectés annuellement à l’avenir aux travaux publics dans File de Ponza, et 2,000 autres ont été distribués aux habitans les plus misérables et à ceux qui avaient eu à souffrir de la descente des insurgés.

Ces faveurs ne venaient point récompenser un dévouement imaginaire. Il est hors de doute que, dans la partie continentale du royaume des Deux-Siciles les classes inférieures de la population sont entretenues par le clergé dans l’amour de la dynastie régnante. Un événement singulier en fournit la preuve, peu de temps après la défaite de l’insurrection de Sapri. L’aviso à vapeur français le Mèmore faisait des sondages sur la côte; aux environs du village de Torre del Greco, qu’habitent des pécheurs, des jalons avaient été plantés pour les observations hydrographiques des officiers. Briser les instrumens, battre et blesser nos matelots fut pour les pécheurs l’affaire d’un instant. «Nous ne voulons pas de révolutions!» s’écriaient-ils. On eut toutes les peines du monde à les contenir. Devant les autorités, tout s’expliqua. Le roi, fort mécontent, fit faire des excuses dont le gouvernement français voulut bien se contenter, mais sans renouer pour cela les relations diplomatiques. Un voyage du comte de Syracuse, frère du roi Ferdinand, à Paris, ne parait pas, à cet égard, avoir obtenu plus de résultats.

S’il était possible d’entrer dans les détails, nous aurions à signaler une foule de faits d’importance médiocre par eux-mèmes, mais dont l’ensemble ferait bien connaître la vie intérieure du royaume des Deux-Siciles. De grandes améliorations sont projetées: le gouvernement décrète les travaux d’appropriation pour faire du lac Averne un port militaire qui pourra contenir trois cents vaisseaux, mème d’un fort tirant d’eau, le lac n’ayant pas moins de 140 pieds de profondeur; il ordonne de refaire le port de Girgenti et celui de Ficato, en face de Malte; mais en fait d’améliorations accomplies on ne peut guère citer que l’ouverture du premier tronçon du chemin de fer de Nocera à Salerne, tronçon qui va jusqu’à Cava et continue le chemin de Naples à Castellamare et Nocera, et le télégraphe électrique mis à la disposition des particuliers. Ce n’est pas l’argent qui manque; mais on en fait quelquefois un emploi singulier. On a beaucoup parlé de gratifications accordées à divers journaux étrangers qui soutiennent la politique du gouvernement napolitain. Dans la liste publiée à ce sujet, l’Univers figure pour 2,400 ducats, la Gazette du Midi pour 1,200, la Bilancia (de Milan), le Cattolico (de Gènes), pour la mème somme; nous ne parlons ici que des feuilles les plus connues. Cet argent serait peut-être mieux employé à augmenter le nombre des agens chargés de veiller à la sûreté des habitans. On éviterait ainsi le scandale de certaines arrestations en plein jour, aux lieux les plus fréquentés, comme celle du vice-consul anglais Conseil, qui a eu lieu au mois de septembre (1857) entre Vietri et Salerne, dans un pays qui est, pour l’été, le séjour de prédilection des Napolitains et des étrangers. M. Conseil fut emmené dans les montagnes par quatorze individus, qui ne demandèrent pas moins de 1,000 livres sterling pour lui rendre la liberté.

La fin de l’année 1857 fut signalée dans la partie continentale du royaume des Deux-Siciles par un tremblement de terre ou plutôt par une série de tremblemens de terre auxquels on ne peut comparer que celui de 1785. Dans la nuit du 16 au 17 décembre, à la suite d’éruptions menaçantes du Vésuve, on sentit de violentes secousses qui renversèrent un très grand nombre de maisons et d’édifices, des villes entières, et qui cotèrent la vie à, une foule de personnes. Naples est peut-être la ville du royaume qui a le moins souffert. A l’annonce du danger, tout le monde s’était empressé d’accourir sur les places publiques ou dans les champs, pour n’être point enseveli sous les décombres. C’était l’heure des spectacles, et il aurait pu arriver de grands désastres; mais tous les théâtres étaient fermés à cause de la neuvaine de Noèl qui venait de commencer. Les villes de Polla et Montemurro furent ruinées de fond en comble, ainsi que celles de Cosenza et Melfi. La Basilicate et la province de Salerne ont été les plus maltraitées. Ce n’étaient point seulement des oscillations, mais de violents tressaillements qui lancaient les meubles en l’air; les maisons se heurtaient en s’écroulant, et sur plus d’un point des incendies se déclarèrent. La terreur publique portait à 40,000 personnes le nombre des victimes; l’administration donna officiellement les chiffres de 9,237 morts et 1,359 blessés. Ces cadavres restèrent assez longtemps sous les décombres, avant qu’on pût les en retirer; l’air en était infecté. A Naples, la crainte de l’écroulement des prisons ne put déterminer l’autorité à mettre en liberté les prisonniers; à Polla, au contraire, l’intendant prit sur lui de les relâcher, et il n’eut que sujet de s’en applaudir: loin de se sauver, ceux qu’ils venaient de délivrer ne songèrent qu’à se joindre aux habitans pour retirer les morts et les vivans de dessous les décombres. Depuis cette époque, les grands désastres ont cessé, mais très fréquemment encore des secousses partielles renouvellent les alarmes d’une population si cruellement éprouvée.

Le 29 janvier 1858 commencèrent devant la cour criminelle de Salerne les débats du procès de Sapri. On doit savoir gré au gouvernement napolitani de n’avoir pas eu recours en cette occasion à la juridiction exceptionnelle des tribunaux militaires. Il n’y avait pas moins de 285 accusés; c’étaient ceux des insurgés qui n’avaient pas trouvé la mort sur le champ de bataille, l’équipage du Cagliari et quelques passagers suspects de connivence avec Pisacane et ses compagnons. L’acte d’accusation donna lieu à de graves difficultés dont il a été question au chapitre du Piémont. C’est dans ce document que le cabinet sarde trouva la preuve de l’illégalité de la capture du Cagliari. Tout le monde fut frappé aussi du peu de fondement des accusations de complicité qu’on faisait peser sur l’équipage et les passagers. On ne pouvait s’expliquer que tant de gens, dont les intérêts sont très divers, eussent pu s’entendre pour débiter un conte que tous répétaient de même et sans variantes. «Une fois les insurgés débarqués, disaient-ils, le capitaine Sitkzia assembla les passagers et l’équipage, il leur fit signer le procès-verbal des événemens qui venaient de s’accomplir à son bord, et leur proposa de se rendre à Naples pour exposer les faits au consul sarde et aux autorités du pays. Tout le monde se rangea à cet avis, et dans la nuit du 28 juin le navire fit route vers Naples. Le 29 au matin, on aperçut les deux frégates qui faisaient mine de donner la chasse. Le capitaine, loin de fuir devant elles, alla résolument à leur rencontre, et les accosta au bout d’une heure un quart. On était alors à dix milles de Sapri.»

Les accusés, Nicotera à leur tète, se présentèrent aux débats, attachés deux à deux et vêtus, comme en été, de la veste de toile grise qui est d’ordonnance dans les prisons. Les premières séances furent remarquables par les faits qu’on y apprit, et que la publicité officielle, qui règne seule dans le royaume des Deux-Siciles, ne permettait pas de soupçonner. L’un des accusés n’hésita pas à se plaindre des égards qu’on affectait d’avoir pour eux en public, tandis qu’on leur faisait souffrir dans leurs cachots toute sorte de privations, qu’ils manquaient de nourriture, de vêtements, d’air, de propreté. La cour de Salerne se déclara incompétente, et elle ne pouvait faire autrement; mais la protestation était désormais assurée de la publicité: c’était tout ce que voulaient les accusés. La légitimité de leurs réclamations a été depuis établie par les déclarations du consul anglais, M. Barbar, lequel ayant obtenu l’autorisation de visiter deux détenus anglais dont il va être question, constata que l’argent envoyé par la compagnie Rubattino, propriétaire du navire, ne suffisait pas à leur nourriture, et qu’ils étaient encore vêtus, à la fin de novembre, des mèmes habits qu’au moment de leur arrestation.

Le second incident remarquable des débats a rapport au principal accusé, Nicotera. Depuis longtemps, le bruit courait qu’il avait fait des révélations écrites. Pour se disculper, il demanda, dès le début de son interrogatoire, l’autorisation de lire un papier à la cour; mais sur l’opposition du procureur fiscal, la cour, après avoir pris connaissance de cette note, consentit seulement à en faire un résumé par l’organe de son président. La lecture, comme on devait s’y attendre, se borna à quelques passages insignifians, et Nicotera, après avoir protesté inutilement contre ces restrictions apportées à la liberté de la défense, se rassit, refusant de répondre davantage aux questions qui lui seraient adressées. Il réussit du moins à faire parvenir aux journaux étrangers, qui l’ont publiée, cette défense de son honneur, qui est en mème temps un document précieux pour la connaissance des faits, dénaturés par la rumeur publique et les exagérations inévitables de l’acte d’accusation. C’est lui qui nous apprend que Pisacane, Falcone et autres chefs des conjurés n’ont point été tués dans la chaleur du combat, mais de sang-froid, alors qu’ils étaient déjà prisonniers, et que ceux dont on a épargné la vie se sont vus dépouillés de tout par les gardes urbaines et les gendarmes, mème de leurs bas et de leurs souliers. Il consacre un long paragraphe à disculper l’équipage du Cagliari de toute complicité dans le complot. Si le capitaine Sitkzia ne prit point le large à Ponza, lorsque les conjurés furent descendus dans Pile, ce que lui reproche amèrement l’accusation, c’est que Pisacane avait trouvé prudent de le laisser sous la garde de quelques-uns de ses hommes les plus déterminés. L’injonction faite au passager Daneri, excellent marin, de prendre le commandement, quand les insurgés se furent rendus maîtres du navire, ne prouve-t-elle pas l’innocence du capitaine? On accusait ce mème Daneri d’avoir dirigé ses pistolets contre deux officiers de la police maritime, à Ponza, pour les obliger de monter à bord; Nicotera déclare que c’est lui-mème et un de ses compagnons, Falcone, mort aujourd’hui, qui se sont rendus coupables de cette violence. Il prouve également que les passagers ne sont pas plus répréhensibles que l’équipage. Il repousse avec indignation l’accusation dirigée contre les chefs d’avoir abandonné les autres insurgés après le combat de Padula. Les trente-cinq première qui tombèrent aux mains des troupes ayant été immédiatement fusillés, Pisacane avait résolu de se réfugier dans les montagnes avec les autres pour les sauver. C’est alors qu’assaillis par des forces très supérieures, ils furent massacrés après s’être rendus. Nicotera proteste enfin contre les vols qu’on reproche aux insurgés d’avoir commis sur leur passage, et surtout contre le bruit si répandu qu’il avait fait des révélations.

Parmi les accusés, il en était deux contre lesquels la cour de Salerne était loin d’avoir toute sa liberté d’action: c’étaient les deux mécaniciens du Cagliari, Wuott et Park, Anglais de naissance, et que protégeait, surtout en temps de rupture diplomatique, leur nationalité. Coupables ou innocens au même degré que le reste de l’équipage, ces deux hommes, jetés dans les cachots, étaient un véritable embarras. M. Barbar, consul anglais, avait sollicité pour les voir une autorisation qu’on n’avait osé lui refuser, et plus tard, M. Lyons, secrétaire de l’ambassade britannique à Florence, en résidence à Rome, fut envoyé à Salerne par le cabinet Derby pour les protéger. Aussi le président de la cour avait-il donné au gouvernement des Deux-Siciles le sage conseil de simplifier la situation en rendant une ordonnance de non-lieu contre les deux mécaniciens. Soit scrupule de légalité, soit rancune contre l’Angleterre, le roi Ferdinand avait ordonné que les choses suivissent leur cours régulier. En conséquence, Wuott et Park furent conduits aux débats. Les tortures morales de la prison, leur situation singulière dans un pays dont ils n’entendaient pas la langue, devant un tribunal où il s’agissait d’eux sans qu’il leur fùt possible de comprendre les accusations dont on les chargeait, tout avait fini par leur troubler la tète. Celle de Wuott, particulièrement faible, ne tint pas à de si rudes épreuves: en pleine séance, il se lève et prononce en anglais des phrases incohérentes avec une véhémence incroyable. Faute de lui pouvoir imposer silence, il fallut l’entraîner hors de la salle et statuer sur la question de savoir si l’on passerait outre aux débats, ou si l’on attendrait, pour les poursuivre, qu’il fùt de nouveau en état d’y figurer. Cette seconde opinion finit par prévaloir, et Wuott fut remis à des médecins chargés de l’examiner.

Les événemens du dehors allaient donner à cette affaire une issue fort inattendue. La question du Cagliari s embrouillait de plus en plus, et mena^ait de rendre impossibles les relations déjà fort difficiles de Turin avec Naples. L’attentat du 14 janvier, en relâchant les liens de l’alliance anglo-française, rapprochait nécessairement l’Angleterre de l’Autriche, et par conséquent l’éloignait du Piémont. Le roi Ferdinand comprit très bien l’avantage que lui faisait cette situation nouvelle; avec quelques concessions, il pouvait espérer de désintéresser complément le cabinet de Saint-James, et à cette époque on croyait que la loi Deforesta sur la répression des actes relatifs à l’assassinat politique serait rejetée par les chambres piémontaises, et laisserait M. de Cavour dans un complet isolement en Europe. C’est pourquoi, malgré l’avis des médecins qui disaient ne pouvoir déclarer encore s’il y avait ou non, chez Wuott, altération des facultés mentales, le gouvernement napolitain décida que ce mécanicien serait conduit à l’hôpital de Naples et confié aux soins d’un médecin anglais. Cette demi-mesure fut bientôt suivie d’une autre plus décisive: Wuott fut rendu à la liberté et renvoyé en Angleterre. Quelques jours après, son camarade Park, pour lequel il n’y avait pas les mèmes raisons d’indulgence exceptionnelle, obtint la mème faveur, et les débats du procès furent repris cette fois, sans bruit et sans incidens nouveaux, grâce à l’éloignement des deux accusés anglais et au silence obstiné de Nicotera.

Le gouvernement napolitain eut lieu un moment de croire qu’au prix du sacrifice qu’il venait de faire, il n’aurait plus à craindre l’intervention de l’Angleterre dans ses démêlés avec le Piémont: le désaveu de la politique de lord Clarendon par son successeur lord Malmesbury, se produisant sous la forme d’un blâme infligé à M. Erskine, secrétaire de la légation britannique à Turin, semblait ne pouvoir être susceptible d’aucune autre interprétation: mais c’était compter sans l’opinion publique, cette puissance peut-être dédaignée à Naples, mais si respectée, si courtisée à Londres. Les sympathies anglaises étant toutes pour le Piémont dans cette affaire, le cabinet Derby a été contraint de reprendre au moins en partie la position antérieure d’ami, de protecteur du gouvernement piémontais, qu’affectait lord Palmerston. En conséquence il demanda une forte indemnité pour le dommage causé aux deux mécaniciens, et se vit obligé de déclarer qu’il n’avait pas la moindre intention de s’éloigner du Piémont. Cette nouvelle attitude de l’Angleterre exerça une influence considérable sur la marche du débat. Le roi Ferdinand en effet saisit avec empressement l’occasion de paraître céder à l’Angleterre plutôt qu’au Piémont, en remettant le Cagliari et son équipage à l’agent anglais, chargé de les réclamer en termes mena$ans. On a vu plus haut (6) que le Cagliari avait été restitué au Piémont, qui s’était entendu avec l’Angleterre, et que la principale difficulté de l’affaire avait ainsi disparu.

II — Histoire Administrative

Finances. — Statistique judiciaire. — Armée. — Gardes urbaines. — Organisation maritime. — Pêche du corail. — Institutions diverses et encouragements au commerce. — Organisation politique, civile et commerciale. — Mouvement scientifique et littéraire. — La Sicile.

FINANCES. — Le gouvernement napolitain ne publie point ses budgets, non plus qu’aucun compte-rendu périodique et complet de la situation financière dans le royaume des Deux-Siciles. Le peu qu’on sait de cette situation, nous le devons aux publicistes qui se livrent, dans l’intérêt de la péninsule, aux travaux les plus minutieux. Grâce à des rapprochements judicieux, M. Scialoja, qui a publié récemment une brochure pour comparer les finances napolitaines aux finances piémontaises, a pu nous donner approximativement le budget des Deux-Siciles pour 1856. En voici, suivant cet écrivain, les chiffres sommaires:

Dépenses 32,949,628,69 ducats
Recettes 27,391,617,00
Déficit 5,558,011,69

Ce qui équivaut à 25,011,000 fr. 52 c.; mais il faut remarquer que la Sicile, s’administrant elle-même, ne prend part à la formation du budget que pour les dépenses communes, en sorte que le chiffre total des dépenses du royaume nous reste complètement inconnu; sans compter que, pour rendre les chiffres plus vagues encore, diverses administrations percolent leurs revenus et pourvoient à leurs dépenses, sans même les faire figurer en aucune façon au budget, par exemple les frais auxquels donne lieu le recouvrement de l’impôt foncier, frais qui s'élèvent à un million et demi de francs; il en est de même des amendes et des dépenses de justice.

La dette publique du royaume des Deux-Siciles n’est pas aussi considérable que celle des états sardes, mais il ne faut pas oublier que le roi Ferdinand n’a pas eu à soutenir la guerre de l’indépendance, et qu’il n’a pas contracté d’emprunts pour de grands travaux d’utilité publique. A Naples, la dette provient exclusivement des charges imposées au pays par les dépenses d’une triple restauration. Celle de 1815 lui a coûté 135 millions, celle de 1821 environ 400 millions, celle de 1848 et 1849 plus de 125 millions. Les deux premières restaurations ont rapporté à l’Autriche 408 millions, sans compter la part qui lui est revenue des 27 millions payés en 1815 aux alliés. La paix a permis de diminuer cette dette, si forte pour un petit état; elle est maintenant de 520 millions, sans compter la dette flottante, qu’il est impossible de vérifier.

Durant ces dernières années, les dépenses de la guerre ont considérablement augmenté dans le royaume de Naples. Elles s'élevaient, en 1847, à 7,275,165 ducats, et en 1856 à 11,848,566, ce qui fait, en dix ans, une augmentation de 4,573,401 ducats ou 20,580,300 fr. Les dépenses de la marine au contraire sont restées stationnaires; elles s’élevaient à 2,255,530 ducats en 1847, et à 2,260,000 en 1856.

Originairement, les corps suisses coûtaient par an 540,000 ducats: en 1847, ce chapitre du budget militaire s’élevait à 618,245 ducats, et en 1856 à 890,039 ducats. Les mercenaires suisses, tant soldats qu’officiers, ont une paie des deux tiers plus forte que celle des nationaux du grade correspondant, et jouissent en outre d’un bon nombre d’avantages particuliers, celui, par exemple, d’avoir un lit, tandis que le soldat napolitain couche sur la paille, et de garder leurs vieux habits quand on leur en donne de neufs, tandis que le Napolitain doit restituer l’un en échange de l’autre. Ainsi quatre soldats suisses coûtent autant au trésor que sept soldats napolitains. Rien, à tout prendre, de plus naturel, puisque c’est sur eux que le roi Ferdinand compte le plus pour sa sécurité personnelle et la défense de son trône.

Les conclusions de M. Scialoja sont que les finances du royaume de Naples, qu’on disait être dans un état florissant, ne sont pas moins engagées que celles des autres états de l’Europe, avec cette différence que les impôts sont plus mal distribués et les dépenses moins contrôlées à Naples que partout ailleurs. Il est très regrettable que les trois publicistes chargés par le gouvernement napolitain de réfuter la brochure de M. Scialoja se soient renfermés dans des généralités ou restreints à des détails sans grande importance, car aucun d’eux n'a contesté les chiffres relatifs à la dette publique, à l’augmentation du budget de la guerre, etc.

STATISTICHE JUDICIAIRE. — En 1856, dans les provinces continentales (endecà du Phare), 5,420 personnes ont été mises en jugement, dont 4,310 condamnées et 1,110 acquittées.

Dans le royaume de Naples, tous les acquittemens n’ont pas les mêmes conséquences. Les uns aboutissent pour ceux qui en sont l’objet à la liberté provisoire, les autres à la liberté absolue. Or, sur 1,110 acquittés, 82 seulement ont obtenu la liberté absolue. Sur le nombre des condamnés, 31 ont été punis de la peine de mort; 4,310 condamnations sur une population de 7 millions d’habitants en donnent à peu près une sur 1,624 individus.

En 1855, dans les provinces en-de<;à du Phare, les tribunaux civils, de commerce et les grandes cours civiles ont rendu 44,658 jugemens, dont 33,667 définitifs, et 10,999 préparatoires.

Les tribunaux de commerce et civils ont prononcé en première instance 25,685 arrêts, et sur 3,047 seulement on a interjeté appel. Il n’y a eu que 732 appels d'admis, c’est donc une proportion de 12 appels produits et de 3 admis sur 100 arrêts. On peut signaler un fait semblable, et mème dans de plus grandes proportions, pour les affaires débattues dans la chambre du conseil. Sur 11,790 causes, 156 ont été soumises à l’examen des grandes cours. Sur 366 recours formés devant elle, après sentence rendue en appel, la cour suprême de justice en a admis 178. Si l’on rapproche le chiffre des recours formés de celui des sentences définitives prononcées par les tribunaux civils en appel et des décisions des grandes cours, lesquelles atteignent le nombre de 9,939, on verra que sur 100 arrêts il n’y a eu que si recours de formés, et 2 tout au plus d’admis.

ARMÉE. — Le contingent annuel dans le royaume de Naples est de 12,000 hommes, pris exclusivement dans les provinces continentales, car la Siecle est exempte de la conscription. Depuis plusieurs années, ce contingent n’a point été levé; on remplissait les lacunes des cadres par voie d’engagemens volontaires. Les préparatifs militaires qui se sont faits cette année ont forcé, le gouvernement de recourir au tirage au sort.

La durée du service est de huit ans. Les causes d'exemption sont très nombreuses. Ainsi par exemple un fils unique qui n’a pas son père ou sa mère ne part pas, non plus que le fils aîné des sexagénaires. Si de trois frères il y en a un sous les drapeaux, les deux autres sont exempts de droit.

En 1816, le total de l’effectif militaire était de 2,456 officiers, 37,317 soldats, 4,352 chevaux. Au 1(er) janvier 1857, l’armée de terre se composait de 2,730 officiers, 93,031 soldats, 10,781 chevaux. Dans ces chiffres se trouve comprise la gendarmerie, tant à pied qu’à cheval, laquelle compte aujourd’hui 104 officiers, 4,674 soldats, 606 chevaux; c’est presque la moitié moins qu'en 1829 et 1853. La garde royale comprend 8,997 hommes, officiers et soldats, avec 1,284 chevaux. Les Suisses sont au nombre d’environ 12,000 hommes, et l’effectif des troupes de marine est de 6,000 ou 7,000 officiers et soldats.

GARDES URBAINES. — La garde urbaine est établie dans toutes les communes de la partie continentale du royaume, excepté la capitale. C’est une milice qui participe à la fois du gendarme, du garde champêtre et de la troupe de ligne. Le nombre des gardes est de 40 dans les communes qui n’ont pas plus de 1,000 habitans, de 90 dans celles de 1,000 à 2,000 habitans, et de 200 dans celles dont la population excède 2,000 habitans. Le service est gratuit. Chaque jour, une fraction du corps monte la garde à la commune; ceux qui s’abstiennent de remplir ce devoir à leur tour sont passibles d'une amende de 1 fr. 25 c. Font partie de.cette milice les propriétaires, les cultivateurs (ceux du moins qui travaillent la terre pour leur propre compte), les négocians, les capitalistes, les employés du gouvernement, les professeurs d’arts libéraux, les chefs des diverses industries et les boutiquiers. Pour y être admis, c'est une condition rigoureuse de n’avoir subi aucun procès criminel ou correctionnel et de n’avoir jamais été en prison, pas mente sous le coup d’une prévention suivie plus tard d’un acquittement.

ORGANISATION MARITIME. — Le ministère de la marine est maintenant séparé du ministère de la guerre, auquel il était réuni depuis 1822. A ce département se rattache le conseil de l’amirauté, composé d’officiers-généraux de la marine, sous la présidence du vice-amiral comte d’Aquila, frère du roi. Ce conseil est appelé à donner son avis sur toutes les réclamations et observations des divers chefs de service; c’est par son intermédiaire que ces réclamations arrivent au ministère, de mème qu’il est chargé de transmettre aux chefs de corps et de service les déterminations et les ordres du roi ou du ministre.

Dépendent de l’amirauté:

1° Le major-général, chef du personnel maritime: l’armement, le mouvement des navires de guerre, le collège des aspirans, l’école des élèves, l'observatoire de marine, la bibliothèque, les écoles nautiques établies sur divers points du royaume, relèvent de cet officier;

L'inspecteur des corps militaires. Ces corps sont: — celui des canonniers et marins, 5,972 hommes (7); — le régiment de royal-marine, 2,473 hommes, qu’on envoie par détachemens faire partie des équipages des plus grands vaisseaux; — la compagnie des artificiers, destinés aux travaux du pare d'artillerie de marine;

L'inspecteur du matériel, chargé de tout le service de l'arsenal relativement aux acquisitions, aux dépôts, à l’emploi des matériaux, etc.;

L’inspecteur des services accessoires (rami alieni). Dans les attributions de ce fonctionnaire rentrent le service télégraphique, celui des hôpitaux de marine, la navigation marchande, pour tout ce qui touche à la discipline, l’entretien des bagnes; mais, pour cette dernière branche de ses attributions, cet inspecteur relève du ministre des travaux publics;

L’intendant-génèral de la marine royale, chargé du personnel administratif et de toute la partie des services maritimes relative à l’administration.

Le budget annuel de la marine est de 2 millions de ducats.

Naples est le port militaire du royaume des Deux-Siciles; tout le servire du personnel et du matériel y est concentré. On y trouve un port militaire avec bassin de radoub, l’arsenal et les ateliers qui en dépendent, la fonderie, le pare d’artillerie, les magasins de dépôt, et une cale pour lancer les navires de petites dimensions. C’est dans l’arsenal que s’arment les vaisseaux de la marine royale.

A Castellamare, il y a un chantier où a été récemment lancée la frégate à vapeur le Tasso, d’une force de 300 chevaux. Deux autres brigantins à vapeur ont dû être lancés depuis, la Sirena de 140 chevaux, et l'aquila de 120. Ces trois bâtiments constituent l’augmentation de la marine royale dans les Deux-Siciles de 1855 à 1856. Sur ce mème chantier, on achève d’établir une nouvelle corderie, munie d’une machine à vapeur.

Messine et Palerme sont encore deux ports militaires, mais de moindre importance; ce ne sont, à proprement parler, que des lieux de dépôt.

PÈCHE DU CORAIL. — La pèche du corall a attiré l’attention du gouvernement. Un décret et un règlement ont été publiés à l’effet d’encourager cette pèche et d’en favoriser l’exercice dans divers parages de la Méditerranée. Rien n’a été négligé pour développer cette branche de commerce, assurer la sécurité individuelle de ceux qui l’exploitent, et par conséquent celle de leurs familles respectives. Il est regrettable que rien ne nous indique quelle peut être, pour le royaume des Deux-Siciles, l’importance de cette pèche.

INSTITUTIONS DIVERSES ET ENCOURAGEMENS AU COMMERCE. — Il y a dans le royaume de Naples une institution connue sous le nom de Monti frumentorii (monts de froment). Ce sont en quelque sorte des monts-de-piété pour empêcher les spéculations de l’usure sur les céréales, en cas d’insuffisance de la récolte. Ces établissements fournissent des grains aux agriculteurs pauvres, afin de leur faciliter l’ensemencement et la culture de leurs champs. Au moment de la récolte, ces avances sont rendues par les agriculteurs avec une faible quantité de grains en sus pour tout intérêt. De 1855 à 1856, 34 de ces monts ont été établis. Sur 1,860 communes que contiennent les provinces continentales du royaume, il y en a 1,065 qui en sont pourvues.

Des développemens nouveaux ont été donnés à deux établissements qui existent dans la ville de Melfi: l'institut agricole, où les jeunes gens s’instruisent de tout ce qui concerne la culture des champs, et deviennent capables de diriger l’industrie agraire dans les diverses provinces; la caisse agraire et commerciale, fondée avec un capital de 40,000 ducats, reste des 140,000 ducats recueillis pour réparer les désastres des tremblements de terre de la Basilicate.

L’Institut des arts et métiers, dit de Sant’Agnello, a été fondé par décret du 3 octobre 1856, afin de pourvoir à l’avenir des jeunes détenus pour délit de vagabondage ou de mendicité. Un règlement indique les méthodes d’instruction à suivre, ainsi que les lois morales et économiques auxquelles l’établissement est soumis.

Diverses sociétés commerciales ont été autorisés en 1855 et 1856: — société d’assurance maritime dite l’Uranio capital, 200,000 ducats; — Société d'Assurances diverses, qui doit étendre ses opérations jusqu’à la création d’une caisse d’épargne, capital, 100,000 ducats; — Société d’Assurances generales, capital, 3 millions de ducats; — Société de la Marine napolitaine, capital, 60,000 ducats; — Société de la Compagnie de la Méditerranée, capital, 80,000 ducats; — Société de la Chambre d’escompte, capital, 150,000 ducats. Il existait déjà dans le royaume 25 compagnies commerciales, représentant un capital de plusieurs millions.

ORGANISATION POLITIQUE, CIVILE ET COMMUNALE. — Dans chaque province réside un intendant qui en est la première autorité politique et civile, et dans chaque district, excepté ceux où réside l’intendant, se trouve un sous-intendant. Il y a 38 sous-intendances dans les domaines de terre ferme et 17 en Sicile. L’intendant est assisté d’un conseil pour les affaires administratives, composé de 3, 4 ou 5 membres. Un conseil provincial représente la province et en régie les affaires. Ces assemblées se réunissent une fois Fan; elles sont composées de 15 ou 20 membres nommes par décret royal. Les sessions ne peuvent durer plus de 20 jours. Les vœux des conseils provinciaux sont soumis chaque année au roi par le ministre de l’intérieur. Le conseil du district est également convoqua une fois Fan par le roi, qui nomme les 10 conseillers dont il se compose, ainsi que leur président. La session ne peut durer plus de 15 jours.

Chaque commune est administrée par un conseil appelé décurionat, un syndic ou maire, et deux élus. Il y a 3 décurions par 1,000 habitans, mais ils ne peuvent être plus de 30. Le syndic est la première autorité communale; il préside le dàcurionat. En cas d’absence, il est remplaça par l’un des deux élus. Ces officiers doivent être pris parmi les éligibles. Ils sont nommés par le roi pour les communes de première classe et pour celles de seconde classe qui sont la résidence d’un sous-intendant ou le siège d’un tribunal; les intendans ont la nomination des officiers des autres communes.

Les communes de Naples, Palerme, Messine, Catane, ont aussi un sénat, et diffèrent des autres communes de l’état dans leur organisation.

MOUVEMENT SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE. — Une découverte intéressante a été faite à Palerme par M. Barresi, professeur et préparateur d’histoire naturelle à l’université de cette ville, celle de l’aftalosio ou sulfate de potasse à l’état pur et en cristaux réguliers. Tous les minéralogistes modernes, de Haùy à Beudant, qui a donné à ce minéral le nom l’aftalosio, en ont attesté l’excessive rareté à l’état naturel, ne l’ayant observé qu’à l’état mamelonnaire et pulvérulent, en solution dans quelques eaux minérales et à l’état solide, quoique en très faible quantité, dans les laves du Vésuve et de l’Etna. MM. Corvelli et Monticelli ont démontré que l’aftalosio du Vésuve est mélangé de chlorure de soude. C’est un résultat précieux que de l’avoir découvert en quantité considérable et sous forme de parfaits cristaux dans file de Sicile, à laquelle ce minerai pourra donner une nouvelle branche de commerce.

Quoique la littérature sommeille dans le royaume de Naples, il ne serait pourtant pas impossible d’y découvrir quelques traces d’une certaine activité littéraire; seulement les œuvres et mème le nom des auteurs napolitains ne passent pas leurs frontières. On pourrait citer M. Nicolas Sole, poète distingué, dont on a un poème sur l’éloquence du barreau, rempli de nobles idées, noblement exprimées, et avec plus de solidité qu’il n’est d’usage dans ce pays de l’enflure et de l’exagération. M. Sole a publié aussi une traduction expurgée du Cantique des Cantiques. — M. Thomas Arabia a fait représenter une tragédie intitulée Sapho, dont on a beaucoup parlé. C’est une œuvre de fougue et de verve où l’on trouve de beaux vers, de la passion, une langue véhémente et colorée.

Si l’on veut chercher la littérature nationale, ce n’est pas aux théâtres sérieux qu’il faut la demander. Sur la scène des Fiorentini en effet, on ne joue que les comédies de M. Scribe et les mélodrames de M. Dennery. C’est aux théâtres populaires qu’on trouve la comédie napolitaine. Celui de San-Corlino entre autres donne des farces qui sont quelquefois des chefsd’oeuvre, par exemple Annette Tavernaio a Porta Capuana de M. Gennaro Davino. Ces farces sont souvent imitées des comédies en prose de Molière; mais Pulcinella y remplace Sganarelle, et avec lui le génie italien fait irruption dans le canevas français. M. Pascal Altavilla, auteur et acteur tout ensemble, n’a pas composé moins de cent trente pièces, dont la plupart ont été représentées au théâtre San-Carlino. Comme auteur, il a les qualités comiques et même la sensibilité; il lui manque la mesure. Comme acteur, il a le génie de la caricature et de la grimace. Son existence est un prodige et donne une idée des ressources qu’offre à Naples la vie de l'homme de lettres et de l’artiste. Altavilla joue deux fois par jour; il a des répétitions le matin, il donne des leçons de guitare, il chante comme ténor dans les églises, il dirige des théâtres d’amateurs et au besoin se fait écrivain public. Il compose à la cuisine, pour n’être pas dérangé, ou dans les entr’actes. Il gagne ainsi à peu près 200 francs par mois, et a sept enfans, ce qui ne l’empêche pas un jour d’en adopter deux qu’il trouva abandonnés au coin d’une borne.

LA SICILE. — Après la répression de la révolution en Sicile, l’administration de cette île a été, par un décret en date du 27 septembre 1849, entièrement séparée de celle de Naples, en conservant toutefois l’unité politique ou gouvernementale, de sorte qu’à l’exception de ce qui concerne les affaires étrangères et les administrations de la guerre et de la marine, il n’y a rien de commun entre les deux pays. Le gouvernement des Deux-Siciles ne pouvait accorder davantage sans compromettre son autorité et renoncer en quelque sorte à la moitié du royaume; mais les Siciliens, il ne faut pas l’oublier, demandaient beaucoup plus: dans l’ardeur de leurs tendances séparatistes, ils avaient repoussé de semblables propositions alors qu’ils luttaient encore; on peut douter que même aujourd’hui les concessions qui leur ont été faites soient suffisantes pour les satisfaire.

Les désastres financiers, inséparables de toute révolution, imposaient au cabinet napolitain une lourde tâche. Pour éviter un emprunt que la Sicile n’aurait pu contracter, à cause du peu de confiance qu’elle inspirait, qu’à des conditions très onéreuses, il prit le parti de consolider la dette et de donner en paiement aux créanciers des titres négociables représentés par des certificats au porteur ou nominaux, avec une rente annuelle de 5 pour 100 au pair. La création de ce grand-livre était une nécessité fâcheuse qui ne pouvait que nuire aux intérêts financiers et commerciaux de la Sicile; mais elle était plus nuisible encore aux intérêts de la partie continentale du royaume, puisqu’une partie des cautionnements et rentes inscrits sur le grand livre de Naples devaient être transférés sur celui de la Sicile dès qu’il y en existait un. Il était également présumable qu’une partie des capitaux napolitains s’éloigneraient de la bourse de Naples, en trouvant dans file un cours moins élevé.

Messine, qui avait principalement souffert des maux de la guerre durant l’indépendance momentanée de la Sicile en 1848, avait droit à une compensation: les avantages d’un port franc lui ont été conservés, même les li mi tes en ont été étendues; le port franc comprend désormais la ville et ses faubourgs, lesquels ont été entourés, pour éviter la contrebande, d’un mur douanier dont les frais de construction se sont élevés à 205,000 ducats.

Une des accusations les plus répandues contre le gouvernement napolitani, c’est qu’il laisse la Sicile privée de moyens de communication et d'instruction, et plongée «dans une ignorance sauvage jusqu’à la barbarie.» Une brochure a paru en 1856 à Bruxelles, dans l'intention avouée de répondre à, ces accusations. Un des faits qui ressortent cependant de cette publication, c’est que le roi n’a ordonné d’exécuter un réseau de communication en Sicile que par un décret du 17 décembre 1848. Or à cette époque la Sicile avait rompu avec l’autorité centrale. On serait dono tenté de croire que ce décret tardif n’a été qu'un expédient pour la faire rentrer dans le devoir, et ce qui semble confirmer cette hypothèse, c’est qu’aujourd’hui même le réseau promis est loin d’être achevé. Il est vrai que le gouvernement rejette la responsabilité de ces retards sur la révolution, «qui a dévoré les fonds publics et grevé l’état de nouvelles dettes.» Il y a en Sicile 1,305 milles de routes déjà ouvertes au commerce; 2Z|7 sont en voie d’exécution, les plans pour la construction de 259 autres sont approuvés.

En méme temps que s’augmentent les moyens de communication, le gouvernement napolitain fait déblayer d’anciens ports, comme celui de Girgenti, ou en fait créer de nouveaux, comme ceux de Catane et de Milazzo. Il fait établir sur toutes les côtes de file des phares à éclipses; il annonce le projet de sillonner dans tous les sens le territoire sicilien de télégraphes électriques, et il fait espérer qu’avant peu l’éclairage au gaz «viendra ajouter un nouveau lustre à la belle ville de Palerme, exemple que les autres villes s'empresseront de suivre dès que les ressources municipales le permettront.» Ce dernier mot semble indiquer que les cités siciliennes font en grande partie les frais des améliorations qui commencent à s’effectuer, ou qu’on fait espérer. Le rôle du gouvernement consisterait donc le plus souvent à donner son approbation aux plans qui lui sont soumis, sauf les cas où ils lui paraissent d’intérêt assez général pour qu’il accorde des subsides. Pour un pays soumis au régime de la centralisation, ce ne serait pas assez sans doute; mais les Siciliens n’ont pas le droit de se plaindre, puisqu’ils tendent toujours à relâcher les liens qui les rattachent à la terre ferme. C’est à eux, s’ils persistent dans le secret de leur pensée, à vouloir être indépendants, de montrer ce qu’ils sont capables de faire pour le bonheur de leur pays.

Une année s’est encore écoulée sans modifier sensiblement la situation politique du royaume de Naples vis-à-vis les grandes puissances occidentales; mème le Piémont a semblé un moment à la veille de suivre, pour ses griefs particuliers, l’exemple de la France et de l’Angleterre. Ce qui permet de ne pas trop s’affliger de ce que cette situation a d’anormal, c’est que l’esprit de guerre semble déjà tellement étranger à notre époque qu’il suffit aux cabinets de se voir sur la pente qui conduit aux hostilités déclarées pour qu’ils redoublent d’attention et d’égards, afin de n’en pas venir aux dernières extrémités, ou tout au moins de pouvoir rejeter le poids d’une si grave responsabilité. Il est prouvé désormais que la rupture des relations diplomatiques est pour les gouvernemens une manière de se témoigner leurs mécontentements réciproques, sans qu’on puisse rien inférer au-delà. D’autre part, en se refusant, pour des motifs de dignité, à obtempérer aux vœux des puissances occidentales, le gouvernement des Deux-Siciles se voit, dans une certaine mesure, engagé à donner par ses actes un démenti aux accusations qu’on élève contre lui. De là son empressement plus marqué que par le passé à seconder, à provoquer mème tous les progrès matériels. Il faut lui savoir gré de cette tendance, sans en exagérer les effets, car il y a encore fort à faire, mème à cet égard, dans le royaume des Deux Siciles, et surtout il faut souhaiter qu’aussi occupé de la vie intellectuelle des peuples que de leur bien-être matériel, il sache prévenir les révolutions et les complots par une politique sagement et progressivement libérale qui lui a trop fait défaut jusqu’à ce jour.

NOTE

(1) Né le 14 mars 1820, roi depuis le 26 mars 1846, par l’abdication de son père Charles-Albert; marié à l'archiduchesse Adelaide d'Autriche; veuf en 1855. — Prince royal, Humbert, né le 14 mars 1844.

Cabinet: Présidence, affaires étrangères, et intérieur (par intérim), M. de Cavour; — grâce et justice, Deforesta, sénateur; — guerre et marine, général Alph. de La Marmora; — finances, et instruction publique (par intérim), M. Lanza; — travaux publics, M. Bona, sénateur; — sans portefeuille, M. Paleocapa.

Corps diplomatique : M«r Antonucci, archevèque de Tarse, nonce apostolique; —

Deux-Siciles, M. Canofari, chargé d'affaires. — Franco, M. de La Tour-d’Auvergne, ministre plénipotentiaire. — Grande-Bretagne, sir James Hudson, min. plén. — Prusse, M. Brassier de Saint-Simon, min. plén. — Russie, général Stackelberg, min. plén. — Espagne, M. de Castro, min. plén. — États-Unis, M. Daniel John, min. résident. — Sublime-Porte, Rustem-Bey, ambassadeur. — Toscane, M. Provenzali, chargé d’affaires; — Bavière, M. de Verger, min. plén. — Saxe, M. de Seebach, min. plén. — Suède et Norvégo, M. de Wachtmeister, chargé d’affaires.

(2)Pour donner une idée des aptitudes constitutionnelles des principaux membres de la droite, il suffira d’un fait relatif au marquis Birago. Ce député a cité devant les tribunaux les 85 signataires des protestations envoyées contre son élection; puis il a menacé le président même de la chambre d’une action judiciaire, s’il lui refusait communication des pièces nécessaires pour son procès. Le tribunal d’Ivrée la déclaré non-recevable, par ce motif que si la chambre a le droit de s’éclairer sur la sincérité des élections, ceux qui l’éclairent ne peuvent être poursuivis qu’ultérieurement à la décision prise par la chambre, si leurs déclarations sont reconnues fausses et calomnieuses. M. Birago, ne se tenant pas pour battu, a fait appel. Inutile de dire qu’il a vu confirmer en appel la sentence des premiers juges.

(3) Voyez au chapitre des Deux-Siciles les événements relatifs à cet attentat.

(4)Voyez les pages 31-3Ì de ce volume.

(5)Ministre dtat: prsident du conseil, M. Ferdinand Troja; finances, M. Pietro dUrso; guerre et marine, marchal Pinto, prince dIschitella; affaires de Sicile, M. Casisi; affaires étrangères (temporairement), M. Carafa de Traetto; travaux publics. M. Murena, directeur; affaires ecclésiastiques et instruction publique, M. Scorza; poli# générale, M. Mazza, directeur; grâce et justice, M. Pionati, directeur; intérieur, M. Bianchini, directeur.

Administration en Sicile: lieutenant-général du roi et commandant général de l’armée, maréchal Ruffo, prince de Castelcicala; police, capitaine Maniscalco, directeur; grâce, justice et affaires ecclésiastiques, M. Mistretta, directeur; intérieur, M. Statella, directeur; finances, M. Castrone, directeur.

Corps diplomatique: Autriche, maréchal de Martini, ministre plénipotentiaire; — Bavière, M. de Verger, id.; — Belgique, M. de Ravestein, chargé d’affaires; — Prusse, M. de Canitz, ministre plénipotentiaire; — Russie, M. de Kakosckine; — Espagne et Parme, M. Bermudez de Castro; — États-Romains, Ms Ferrieri, archevêque de Sida, nonce apostolique; Sardaigne, M. Gropello, chargé d’affaires; États-Unis, M. Dale-Owen, ministre résident.

(6)Voyez au chapitre Piémont, p. 213-214; voyez aussi le Tableau de la politique generale, p. 81-82.

(7)On en peut augmenter le nombre en appelant les citoyens qui sont sur les rles de linscription maritime. Cest dans ce corps quon prend les quipages des navires de guerre, tant pour artillerie que pour la manuvre.




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LA BILANCIA - Napoli e Piemonte

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Nicola Zitara mi chiese diverse volte di cercare un testo di Samir Amin in cui is parlava di lui - lho sempre cercato ma non non sono mai riuscito a trovarlo in rete. Poi un giorno, per caso, mi imbattei in questo documento della https://www.persee.fr/ e mi resi conto che era sicuramente quello che mi era stato chiesto. Peccato, Nicola ne sarebbe stato molto felice. Lo passai ad alcuni amici, ora metto il link permanente sulle pagine del sito eleaml.org - Buona lettura!

Le développement inégal et la question nationale (Samir Amin)












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